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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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apparents, avait conservé longtemps pour cette vieille idole un respect fanatique ; et dans ces derniers temps, il regardait encore les douze Parlements répandus dans le royaume comme autant d’égides qui protégeaient les citoyens et les propriétés.

Peu de jours après la scène du Palais, parurent les fameux édits du 8 mai 1788}[1]. Peut-être eût-on vu d’un œil tranquille l’établissement de grands bailliages ; quoique dangereux dans l’état où se trouvait alors la législation française, ils ne pouvaient manquer d’être utiles et agréables aux provinces. Mais la haine de la cour plénière réunit la nation aux Parlements, et ceux-ci, forts des sentiments excités dans tous les cœurs, tant par la courageuse résistance du peuple de Rennes et les écrits vigoureux de la commission intermédiaire des États de Bretagne, que par la conduite ferme, mesurée et vraiment patriotique du Dauphiné, triomphèrent de la puissance royale indignement prostituée, de la force militaire, ébranlée par l’usage déshonorant qu’on en voulait faire, et renversèrent enfin les grands bailliages, la cour plénière et leurs ineptes auteurs.

C’est à M. d’Artois que l’on prétend que la France dut être délivrée de l’archevêque de Sens ; il ouvrit les yeux ou roi et à la reine sur la situation déplorable des affaires du royaume, sur l’incapacité du ministre, et la nécessité d’en prendre un autre dont le choix fût agréable à la nation. Il s’offrit à aller lui-même demander sa démission ; on l’arrêta en lui promettant d’avoir égard à ses représentations. Quelques personnes de la cour avaient déjà fait sentir au principal ministre que M. Necker était le seul homme qui pût retirer le royaume de l’abîme où il était plongé ; il en avait parlé au roi. Le prélat consentait à lui abandonner en entier le département des finances. Mais l’ancien administrateur refusa d’entrer dans le ministère tant que l’archevêque y resterait. La retraite de celui-ci fut donc résolue. La reine voulut en vain le préparer à cet événement ; il s’était arrangé pour tenir toujours les rênes du gouvernement, et ne comprit rien à ces discours. Il fallut que l’abbé de Vermont allât les lui expliquer le jour de Saint-Louis dans la matinée.

Sa conduite pendant son ministère est une nouvelle preuve de la vanité des réputations ; il n’imagina rien que la cour plénière. La manière dont il travailla à soutenir cette opération fut plus honteuse encore que l’opération même : pendant quatre mois il ne chercha qu’à tromper le roi et la nation. Toute la France fut instruite qu’il avait persuadé au roi que le Châtelet de Paris avait enregistré avec joie son élection en grand baillage[2].

Jaloux de M. Necker, dont il se croyait le rival de gloire, et, dont il craignait l’ascendant sur le roi, il favorisa constamment les ennemis de cet administrateur. M. Panchaud, qui eut beaucoup de part à une réponse de M. de Calonne au Compte rendu de M. Necker, trouva dans les bureaux du contrôleur général toutes les facilités imaginables pour faire des recherches sur son administration, et son ouvrage fut vendu publiquement et sans obstacle dans un temps où mille entraves gênaient la liberté de la presse[3].

Il jeta le premier entre les trois ordres ces funestes germes de division qui depuis ont mis l’État à deux doigts de sa perte ; il jeta également le plus grand désordre dans les finances par les sacrifices immenses qu’il fut obligé de faire pour soutenir ses projets. Les sommes répandues pour soulever le peuple, acheter des juges pour les grands bailliages, les marches et contre-marches des troupes, la baisse du change, la suspension du payement des impositions, les frais d’espionnage, etc. coûtèrent à la France plus de cent millions.

Il marcha toujours au hasard et sans but déterminé. « Parmi cette foule d’événements qui se succèdent avec tant de rapidité, il n’est pas possible, disait-il, qu’il n’en survienne quelqu’un qui nous soit favorable ; il ne faut qu’une chance heureuse pour nous tirer d’affaire. » Une personne qui l’écoutait, lui fit observer que la guerre civile pouvait être une de ces chances. — « Nous avons calculé là-dessus, » répondit-il froidement.

Dans les derniers temps de son administration, ses mauvais succès l’avaient aigri, la moindre contradiction le mettait en fureur, il ne méditait que des violences. Il était à la veille de s’emparer de tout l’argent qui était en dépôt chez les notaires, et d’y substituer du papier. Sa retraite prévint ce nouveau crime et la ruine d’une foule de familles.

La réforme des tribunaux, les jugements par jurés en matière criminelle, l’instruction publique des procès, un conseil donné aux accusés, la suppression absolue de la torture et des supplices atroces et une foule d’autres règlements utiles

  1. Ces édits sont rapportés en entier dans le courant de cette Introduction.
  2. La reine, sur sa parole, l’avait annoncé à Mesdames ; deux heures après, leur médecin étant venu à Bellevue, leur apporta l’arrêté de cette compagnie, et mit le comble à leur surprise et à leur indignation.
  3. C’est une chose remarquable que la prodigieuse rapidité avec laquelle le despotisme s’est enraciné dans l’esprit de ce ministre : « Concevez-vous, disait-il un jour, rien de pareil à l’extravagance de ces Bretons ? Ils ne font que nous harceler de mémoires, nous fatiguer de députations ; les voilà ici cinquante et tant pour en demander douze qui sont à la Bastille. J’ai voulu bonnement raisonner avec eux : Messieurs, leur ai-je dit, il est vrai que vos compatriotes sont à la Bastille ; mais on les y traite avec toute la distinction et tous les égards possibles. — Eh ! monseigneur, s’est écrié un d’eux (une hôte qui était derrière les autres), ce ne sont pas des égards que nous sommes venus demander ici pour eux, c’est la liberté. — Ma foi, je suis resté confondu, moi ; que voulez-voulez qu’on dise & des animaux de cette espèce-là ? »