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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

militaires sont rappelés sous leurs drapeaux ; des officiers généraux et des conseillers d’État partent pour les provinces, ignorant eux-mêmes l’objet de leur mission. Le même jour, à la même heure, ils doivent ouvrir des paquets cachetés qui renferment le sort de la France. Une imprimerie était dressée à Versailles, une foule de presses y gémissaient jour et nuit, et un triple rempart de bayonnettes dérobait le secret des ministres aux regards indiscrets.

Cet appareil nouveau de despotisme avait semé l’alarme. M. d’Epremesnil vint à bout de découvrir le mystère, et fit jurer les magistrats et les pairs du royaume de se refuser à tout projet qui émanerait des presses ministérielles.

Le ministre, furieux, lance une lettre de cachet contre l’auteur de la découverte et contre un jeune magistrat qui avait dénoncé leurs vexations dans la perception des vingtièmes. Ceux-ci échappent aux satellites porteurs de la lettre, se réfugient au Palais, et le Parlement les met sous la sauvegarde du roi et de la loi. Les pairs s’assemblent, le peuple se porte en foule à la grand’salle ; une députation solennelle part pour Versailles et va supplier le roi d’écouter dans sa sagesse de meilleurs conseils.

Cependant un homme est surpris dans l’enceinte même du Palais, vendant des exemplaires falsifiés du fameux arrêté du 3 mai. Les portes de la grand’chambre s’ouvrent, et la cour, les pairs y séant, condamnent aux flammes ces imprimés d’imposteurs, après avoir fait lire au peuple l’original même de leur délibération. Cette circonstance échauffe les esprits ; la fermentation augmentait d’heure en heure, tout Paris attendait avec une curiosité inquiète la suite d’un événement qui devait décider si le Palais allait devenir un lieu d’immunité, d’où tout conseiller pourrait désormais braver les foudres de Versailles, ou si les ministres, au risque d’encourir l’exécration de la France, emploieraient la violence pour faire exécuter les lettres de cachet.

Il était minuit, lorsque plusieurs bataillons sous les armes, précédés de leurs sapeurs, la hache sur l’épaule, accourent au Palais à pas précipités, prêts à briser les portes en cas de résistance ; le sieur Vincent d’Agoult les commande. Il entre dans la cour des pairs et demande les victimes désignées. Nous sommes tous Goiflard et d’Eprémesnil, répondent les magistrats. Tous les Français furent ce jour-là pour d’Eprémesnil. Ils ne savaient pas qu’il n’était que l’ennemi du ministre et non l’ami de la liberté. Le marquis d’Agoult montra ses ordres ; mais comme ils n’étaient que ministériels, on refusa de les reconnaître. Il fallut donc retourner à Versailles, éveiller le roi pour lui faire signer un ordre que l’on doit croire avoir été contraire à ses dispositions naturelles. Vers les cinq heures de la même nuit, les deux conseillers furent enfin enlevés. M. d’Agoult, conduisant comme en triomphe ces deux magistrats en robe, à la tête de deux mille homme armés, reçut tout le long de la route les témoignages de l’indignation publique et contre sa personne et contre les ordres dont-il était porteur. Comme il avait fait une espèce de siége du Palais et failli emporter la grand’chambre d’assaut, on lui donna le gouvernement de la place qu’il avait conquise.

Ce dernier acte de despotisme était trop violent ; il devait paraître trop odieux à la nation pour que les deux ministres de qui il émanait conservassent leur place. Comme il ne leur restait plus sur la terre de dédommagement que celui des richesses et des titres, on les en combla. M. de Lamoignon eut une grosse pension, et l’archevêque obtint tout ce qu’un roi de France peut donner, afin de proportionner, autant qu’il était possible, les grâces à la haine publique. — Il emporta pour près de 800 000 livres de pensions et de bénéfices.

Il faut reconnaître que dans leur lutte avec le ministère, les Parlements ont servi puissamment la révolution sous laquelle ils succombèrent. Ils ont averti la nation qu’elle avait des droits puissants à exercer, de longues réclamations à faire valoir. La volonté personnelle du roi étant nulle devant l’influence des ministres qui la dirigeaient à leur gré, ils ne trouvaient point d’autres juges à prendre, entre les ministres et eux, que le peuple ; et forcés de le faire intervenir dans leurs querelles, ils le mirent bientôt à portée de s’instruire par lui-même de ses droits qu’ils avaient l’air de défendre. Par leur prétention d’être partie essentielle de la législation, ils se sont exposés à l’examen, à la surveillance, à la critique ; et l’on vit qu’ils avaient abusé du mot pour usurper les droits et s’attribuer la puissance des grands Parlements, c’est à dire des États généraux, quoiqu’en 1484, aux États tenus pendant la minorité de Charles VIII, le premier président la Vaquerie eût expressément déclaré au régent « que le Parlement était pour rendre la justice au peuple ; que les finances, la guerre et le gouvernement du roi n’étaient pas de son ressort. »

L’on reconnût bientôt en effet qu’ils n’avaient montré d’énergie qu’autant que leurs prérogatives, leurs prétentions ou leurs intérêts étaient compromis. Ont-ils poursuivi les crimes d’État dans les ministres déprédateurs ou fripons, dans les despotes subalternes qui commettaient, au nom de Louis XVI, toutes sortes d’horreurs ? Ont-ils préservé, ou même essayé de préserver le peuple de l’oppressive progression des impôts ? Selon l’auteur de l’Éloge du chancelier de l’Hôpital, ils ont corrompu et ce qu’il y a de plus sacré sur la terre et le seul bien que les gouvernements puissent faire aux hommes, la justice et les lois. Cependant le peuple, qui ne voyait que les motifs