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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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simulé des ministres et des magistrats ; la mauvaise foi amena une nouvelle rupture. L’archevêque, à qui la voie des impôts était fermée, tenta celle des emprunts, et elle lui eût peut-être réussi sans la perfidie de quelques magistrats et la gaucherie du garde des sceaux. M. de Lamoignon avait engagé le principal ministre à entrer en négociation avec les membres du Parlement qui avaient le plus d’influence dans leur compagnie. Tous convinrent des besoins du gouvernement et de la nécessité de lui trouver de l’argent.

Le ministre crut la circonstance favorable pour établir une cour plénière imposante, qui lui donnerait les moyens de se passer des Parlements. Cette cour devait être composée des princes, des pairs, des maréchaux de France et de quelques magistrats ; c’eût été vraiment la cour plénière du despotisme. En même temps, le garde des sceaux Lamoignon se vengeait du Parlement, en créant, dans chaque généralité, des bailliages auxquels il donnait des pouvoirs très-étendus, tant au civil qu’au criminel. Tous les Parlements firent une levée de boucliers terrible ; ils se confédérèrent, et conclurent un pacte de résistance qu’ils sanctionnèrent d’un serment. Pendant qu’on recueillait les voix, le garde des sceaux, s’apercevant que la majorité ne serait pas pour les projets ministériels, monta au trône pour avertir le roi d’en faire cesser le récolement, et de déclarer ses volontés ; ce qui fut fait[1]. Le duc d’Orléans s’étant permis de demander au roi si c’était un lit de justice ou une séance royale qu’il entendait tenir, et de protester contre l’enregistrement, fut exilé ainsi que deux autres conseillers, MM. Fréteau et Sablier de Cabre, qui avaient parlé avec courage. Le premier mouvement du roi fut de les faire arrêter au milieu de la grand’chambre ; on prévint cette démarche, qui n’aurait fait qu’aigrir les esprits. Les ministres n’en furent pas moins poursuivis avec plus de fureur encore par les cris de l’indignation publique, dès que l’ordre d’exil fut connu.

M. d’Eprémesnil avait donné l’idée d’un emprunt successif : la déclaration du roi, libellée sur son plan, resta plus de huit jours entre ses mains, et la séance royale ne fut arrêtée au conseil que l’orsqu’on se crut assuré du consentement des magistrats. La veille, tout changea : on prétendit que des membres du Parlement avaient eux-mêmes présenté des mémoires pour demander à distraire du ressort de leur cour plusieurs provinces, et proposé d’y établir des conseils supérieurs. M. d’Eprémesnil fut désigné comme devant être premier président d’un de ces nouveaux tribunaux ; d’un autre côté, quelques propos indiscrets de l’archevêque l’ayant fait soupçonner de mauvaise foi, les intéressés craignirent d’être compromis, et lui manquèrent de parole. Cependant une grande majorité s’étant déclarée pour l’enregistrement, dans la séance royale, il ne restait que deux partis à prendre : l’un de faire retourner le roi à Versailles, et de laisser consommer la délibération à la pluralité de voix, puisque le Parlement y attachait tant d’importance ; l’autre, d’accorder sur-le-champ les États généraux.

Mais M. de Lamoignon pensa que le roi devait suivre aussi strictement les déterminations de son conseil, qu’un premier président les arrêts de la cour. Il ne sentit pas que l’assemblée des représentants de la nation était désormais indispensable, et qu’il valait mieux, pour la gloire et pour l’intérêt du prince, qu’elle parût un bienfait de sa part plutôt qu’un sacrifice arraché par la nécessité. Peut-être aussi n’eût-il pas le courage de braver le ressentiment du premier ministre.

L’emprunt ne se remplit point, l’État périssait ; mais les affaires particulières des ministres prospéraient. L’archevêché de Sens et une riche abbaye furent la récompense des brillants succès du principal ministre, et le garde des sceaux reçut pour prix de son habileté 200 000 livres pour marier sa fille.

On résolut de perdre M. de Lamoignon ; pour y réussir, on fatigua la cour d’arrêtés, de députations, de remontrances. L’inflexible garde des sceaux faisait parler le roi avec la hauteur d’un sultan. Les Parlements répondaient avec une fermeté respectueuse, et faisaient de leur cause la cause de la nation, en paraissant combattre le despotisme ministériel, uniquement pour assurer la liberté publique.

Cependant la résistance qu’ils opposèrent à l’établissement des assemblées provinciales leur donna de la défaveur ; et les scènes qui se passèrent au Palais, lors de l’édit qui accordait l’état civil aux protestants, l’humble confession de M. d’Eprémesnil, la scission dont plusieurs membres menacèrent la compagnie, jetèrent du ridicule sur leurs délibérations. Encore deux lois justes et agréables à la nation, et les ministres triomphaient. Mais leur impéritie et leur audace les perdirent tous deux.

Un comité de jurisconsultes philosophes s’occupait, sous les yeux du chef de la justice, de la réforme de la jurisprudence civile et criminelle. Le garde des sceaux, toujours pressé d’agir, voulut faire en quatre mois ce qui demandait plusieurs années de méditation et de travail. Le principal ministre, jaloux de partager sa gloire, se joignit à lui, et ils arrêtèrent d’opérer une révolution au mois de mai, comme on arrêtait un voyage de Compiègne ou de Fontainebleau.

Tout à coup les ordres sont donnés. Tous les

  1. Quand M. de Lamoignon entra an parquet, M. Séguier lui demanda s’il était vrai qu’il fût décidé à enregistrer sans prendre les voix. — Sans doute, lui répond le garde des sceaux ; est-ce que vous voulez que le roi ne soit qu’un conseiller au Parlement ?