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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

somption d’un ambitieux et les fausses ardeurs de l’impuissance, ne lui parut pas supérieur en vertus.

Il avait prévu la chute prochaine de M. de Calonne, et dirigé toutes ses démarches, tous ses discours sur le plan combiné de son élévation future. Le silence politique qu’il affecta n’en imposa à personne : on souleva même le voile mystérieux dont il couvrait ses prétentions ; mais il louvoyait habilement sous les auspices de l’abbé de Vermont, et fut servi si chaudement, qu’il fut admis au conseil, immédiatement après le renvoi du contrôleur général. De l’esprit naturel, une élocution facile, mais un génie étroit, un corps usé par les plaisirs ; un caractère énervé, une vanité exaltée par les fades adulations de quelques littérateurs à gages, quelques idées vagues d’administration qu’il prenait pour un plan, des lumières et de l’expérience, tels étaient les moyens avec lesquels il entrait dans le ministère. Il avait à peine produit un instant d’illusion que ses vues courtes et inconséquentes l’avaient détruit aussitôt. Il proposa au Parlement les mêmes impôts que M. de Calonne avait proposés aux notables, l’impôt territorial et celui du timbre, quoique, comme notable, il se fût formellement élevé contre eux.

Les magistrats, grevés par le premier impôt, profitèrent de l’odieux du second pour éluder l’équité de celui qui aurait porté également sur toutes les propriétés. De là ce combat d’ordres et de refus, d’injonctions, de remontrances et d’arrêtés, qui finit par l’exil du Parlement de Paris à Troyes.

Cet acte d’autorité fut le premier signal de la guerre, et décida l’opinion publique. Elle se manifesta peu de jours après à l’égard des deux princes qui furent envoyés pour le même enregistrement, l’un à la chambre des comptes, l’autre à la cour des aides, avec une énergie qui étonna également les amis de la liberté et les fauteurs du despotisme.

La mission des deux frères du roi était la même. Cependant, Monsieur, qui s’était déclaré ouvertement contre M. de Calonne, à l’assemblée des notables et aux différentes assemblées de chambres que tint ensuite le Parlement, fut reçu dans Paris aux acclamations du peuple, et reconduit après la séance dans son palais du Luxembourg, au milieu des bénédictions d’une foule immense, qui s’empressait de lui présenter des bouquets et de jeter des fleurs sur son passage. M. d’Artois, au contraire, qui s’était cru, par reconnaissance sans doute, obligé de défendre les opérations du ministre disgracié, reçut, dès la barrière de la Conférence, des marques du mécontentement public. Il se manifesta d’une manière effrayante pour sa personne, au Palais, lorsque ses gardes firent un mouvement pour se mettre en défense ; un homme blessé par imprudence ou par accident augmenta le tumulte et le danger. Il en fut cependant quitte pour la peur. Lorsqu’il sortit de la cour des aides, il fut assailli par de nouvelles clameurs, et poursuivi par les huées de ce même peuple, dont il avait été l’idole, jusque vers la statue d’Henri IV, dont la vue dut être pour lui un nouveau reproche. Un cordon de troupes, disposé sur le Pont-Neuf, ferma le passage à la multitude, et donna au prince la facilité de continuer librement sa route, après une leçon effrayante dont il eût vraisemblablement mieux profité, sans les conseils perfides de ceux qui l’entouraient.

La nation était trop éclairée pour que les Parlements renouvelassent l’absurde prétention de tenir le roi en tutelle et de porter la main au gouvernail. Pour cette fois, réduits à la seule vérité pour sortir d’embarras, ils adoptèrent l’avis d’un conseiller, M. d’Eprémesnil, qui leur représentait avec force qu’il était inutile de circuiter insidieusement ; que la vérité de leur incompétence était aperçue et sentie, qu’il fallait se faire un mérite d’un aveu nécessaire. Ils confessèrent donc n’avoir pas le droit de sanctionner l’impôt, que ce droit appartenait aux seuls États généraux, qui avaient celui de le consentir, et ils en demandèrent la prochaine convocation.

Les ministres furent entièrement déconcertés et de l’étrange aveu et de la demande dangereuse du Parlement. En effet, elle fut si vivement accueillie, répétée avec tant d’enthousiasme, que le roi se vit obligé de l’accorder ; il s’y engagea par une promesse solennelle. Les Parlements ont donc rendu un service réel à l’État ? Oui ; mais il s’en faut de beaucoup que leur gloire soit pure ; ils ne surent pas même pallier les motifs déterminants de leur résistance et l’aveu de leur incompétence : l’intérêt de corps et l’intérêt personnel percèrent de toutes parts.

Dans la crise violente où l’on se trouvait, le conseil n’imagina rien de mieux que de nommer l’archevêque de Toulouse principal ministre ; mais un nouveau titre ne peut donner un nouveau talent, et le principal ministre ne fut ni plus habile, ni plus heureux que ne l’avait été le chef du conseil des finances.

L’entêtement et la faiblesse présidant à toutes les opérations, d’imprudences en imprudences il amena les choses au point qu’il était également dangereux pour l’autorité royale d’avancer ou de reculer, et lui fit faire l’un et l’autre : heureusement pour la monarchie française, le Parlement ne fut ni plus politique ni plus prudent. L’enregistrement de la prorogation du deuxième vingtième, pendant son exil, montra qu’il n’était pas moins inconséquent qu’incompétent, et le roi, en le rendant à la capitale, lui fit perdre pour toujours l’importance qu’il avait usurpée dans l’administration.

La mauvaise foi avait préparé l’accommodement