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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

dans la discussion des affaires publiques. Mais il dévoilait les vices du régime oppresseur des intendants, les abus du système financier, l’esprit de corps des Parlements ; c’en fut assez pour le faire marquer du sceau de la proscription : et ce mémoire, qui, appuyé de l’opinion publique, aurait pu faire le bonheur de la France, et amener sans crise la régénération de l’État, demeura secret entre le roi et son ministre. On fit dans deux provinces l’essai de cette nouvelle forme d’administration, et elle obtint le plus grand succès, malgré les obstacles de tout genre qu’on ne manqua pas de lui opposer.

En 1781, Monsieur voulut lire ce mémoire ; M. Necker le lui confia. On le lut, on le vola, et il tomba entre les mains de M. Cromot. Ce dernier, qui se croyait au moins le rival de M. Necker, persuadé qu’il avait trouvé l’occasion qu’il cherchait depuis longtemps d’écarter du ministère le seul homme qui l’empêchait d’y parvenir, tire à la hâte des copies de ce mémoire, s’empresse de les faire parvenir aux intendants, aux Parlements, chefs de la finance, c’est-à-dire à tous ceux dont l’intérêt particulier repoussait toute innovation pour l’intérêt public. M. Necker était sans appui contre une masse d’ennemis aussi redoutables ; comme il ne pouvait avoir dans ce temps-là son entrée au conseil, il ne travaillait même jamais seul avec le roi, et M. de Maurepas, qui était toujours en tiers, s’était déclaré contre lui. La gloire que le Compte rendu avait procuré à son auteur lui avait donné de l’ombrage, et il ne pouvait lui pardonner de n’avoir pas fait de lui dans cet ouvrage une mention honorable.

On attaquait au conseil tous les plans du directeur général, et comme il n’y était pas présent, on morcelait, on rejetait ses plans. On avait suivi la même marche pour perdre Turgot. M. Necker demanda donc au roi, non pas une place au conseil, mais au moins la liberté d’y entrer, pour discuter ses opérations.

Après une mûre et profonde délibération, on lui promit cette faveur, à condition qu’il abjurerait solennellement le calvinisme ; c’est ce que le Saint-Père et le sacré collége auraient pu exiger de lui, s’il avait demandé le chapeau de cardinal. Comme il ne prétendait point aux honneurs de la pourpre, mais à celui de faire prévaloir ses plans de finance, il quitta le ministère en 1782, emportant dans sa retraite les regrets du public, et en consacrant son loisir au célèbre ouvrage de l’Administration des finances.

On ne put supposer ni talent ni vertu à celui qui osa remplacer un ministre honoré de la confiance de la nation, et dont l’élévation était regardée comme le fruit des intrigues de la cabale qui n’était déclarée contre le premier. Deux impôts et un emprunt onéreux signalèrent la courte admisistration de M. Joly de Fleury ; il retrancha les sous, deux sous et quatre sous pour livre, dont les impositions étaient surchargées, et pour que sa comptabilité fût plus productive et plus simple, il chargea indistinctement tous les impôts de dix sous pour livre de la valeur de leur primitive imposition. Il greva la ville de Paris de droits sur le sucre, etc., et il sortit de place avec des pensions et du mépris.

Un jeune homme d’une probité reconnue, M. d’Ormesson, donna, pendant quelque temps, des espérances. Il fut bientôt obligé, à son tour, de déposer un fardeau trop pesant. Son brillant successeur, avec tous les avantages de la supériorité, n’avait pas celui de l’opinion publique. Nommé commissaire dans l’affaire de M. de La Chalotais, au lieu de l’impartialité d’un juge, il avait servi l’acharnement des ennemis puissants de ce courageux magistrat, uniquement pour en obtenir de la faveur. Mal famé d’ailleurs, il ne lui restait de droits à la confiance que de l’esprit et l’art de l’insinuation. On fut consterné de voir M. de Calonne remplacer M. d’Ormesson, de voir les richesses de l’État entre les mains d’un homme qui avait dilapidé son patrimoine ; d’un homme qui, inconsidéré par caractère, immoral par système, avait déshonoré ses talents par ses vices, ses dignités par l’opprobre de sa conduite ; qui, étant procureur général du Parlement de Douai, s’était avili jusqu’à se rendre l’espion d’un ministre auprès du procureur général du Parlement de Bretagne, et avait eu l’impudeur de devenir juge du magistrat dont il avait été le délateur ; qui, depuis, vieilli dans les intrigues amoureuses et dans les intrigues de la cour, chargé de honte et de dettes, venait, avec la troupe avide de ses protecteurs, fondre sur les richesses du royaume, comme pour dévorer les finances, sous prétexte de les administrer.

Mais il fallait à la cour un ministre fécond en ressources, habile à couvrir de palliatifs la brèche ouverte par les dissipations, et qui ne se laissât point effrayer par l’abîme : on crut l’avoir trouvé dans M. de Calonne. En effet, rien n’était au-dessus de ses talents et de son audace ; il plut au roi, et le subjugua par ses manières spirituelles ; il plut par sa prodigalité à ceux auxquels un ambitieux avait principalement besoin de plaire.

Depuis le mois d’octobre 1776, jusqu’au mois de mai 1781, M. Necker avait emprunté 530 millions ; en deux ans, son successeur avait emprunté plus de 300 millions ; mais M. de Calonne les surpassa l’un et l’autre ; ses emprunts montèrent à plus de 800 millions. Ainsi, en dix ans, l’État s’est chargé de la rente d’un capital d’un milliard 630 millions[1].

Comment, en supposant l’exactitude du Compte

  1. Remontrances du Parlement de Paris, du 24 juillet 1787.