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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

put empêcher le masque de tomber, et le crédit tomba tout d’un coup avec lui. Le duc d’Orléans voulut en vain le relever par des arrêts qui l’anéantirent. Il fallut suspendre les payements. Les porteurs de billets devinrent créanciers de l’État, et l’on fut obligé de réduire l’intérêt au centième denier de la primitive valeur.

À la majorité de Louis XV, le gouvernement, déchargé de l’énormité du fardeau de la dette, et dirigé par la main timide et pacifique du cardinal de Fleury, se montra avec splendeur. Les trente premières années de ce règne furent brillantes et heureuses. Mais les ministères de Machault et d’Argenson furent les derniers de cette époque, et les dernières années de Louis XV furent le long opprobre d’un trop long règne[1].

M. de Choiseul, quoique doué d’une certaine élévation et d’un caractère plus franc, mérite plus l’animadversion de l’histoire. Il sera cité comme un des corrupteurs de son maître, toujours aux aguets avec le duc de Richelieu pour étouffer les remords qui auraient pu le rendre à ses devoirs. Il avait cependant un coup d’œil juste, une énergie peu commune à la noblesse française, et une parfaite connaissance du caractère national et de l’art de manier les hommes. Les cours de Vienne, de Pétersbourg et de Berlin n’osèrent tenter le partage de la Pologne sous son ministère, quoiqu’elles en cherchassent alors les moyens. Ceux qui l’accusent d’avoir le premier porté un coup mortel au militaire français, en contrariant les anciennes ordonnances, lui font hommage des deux plus étonnantes révolutions que les annales du monde puissent offrir ; il prépara la révolution d’Amérique, et celle-ci amena la révolution de France.

On a vanté les réductions qu’il avait faites dans ses départements, mais ce fut d’abord l’effet naturel de la réunion des ministères dont il était le chef : car un même homme représentant trois ministères, peut, sans beaucoup de mérite, porter en économie ce que l’envie de se distinguer dans son département fait demander au-dessus du nécessaire au ministre qui n’en gère qu’un ; quand on passerait ces économies, seront-elles comparables à sa dissipation reconnue, aux augmentations de dépenses faites par lui ? Ne sait-on pas qu’il donnait de toutes mains ? Pour réparer le trésor royal, il réduisit les provinces à la misère eu accaparant tous les blés, pour en faire le commerce exclusif au nom du roi. M. de Choiseul avait des talents, mais surtout le ton tranchant qui les fait ressortir[2].

Après la paix de 1762, l’abbé Terray, homme d’un caractère ferme, mais dur et sans moralité, ne pouvant avoir d’argent, en vola au nom du roi : il ruina tous les citoyens qui avaient fourni aux frais de la guerre, en réduisant à deux et demi pour cent les intérêts de leurs créances, soit sur les fermes, les colonies, les pays d’états, billets, etc. Tout le monde sait combien le gouvernement et le ministre de ces exactions devinrent odieux. Le produit en fut bientôt dévoré : c’était une faible pluie d’or, il en aurait fallu un fleuve.

À la mort de Louis XV, le revenu public s’élevait à 375 331 873 livres ; mais les engagements, malgré cette foule de banqueroutes qu’on s’était permises, montaient à 190 858 531 livres : il ne restait donc de libre que 184 473 343 livres. Les dépenses de l’État exigeaient 210 000 000 de livres : c’était par conséquent un vide de 25 526 657 livres dans le trésor de l’État.

À son avènement au trône, le jeune roi, auquel, par mépris pour Louis XV autant que par flatterie, les Parlements et les princes voulaient donner le nom de Désiré, qu’il refusa, appela auprès de lui les hommes qu’on lui désigna pour les plus vertueux ou les plus habiles. Le comte de Maurepas devint son conseil intime, son tuteur. Ce choix était un malheur ; courtisan disgracié de la cour de Louis XIV, on crut qu’il porterait ses ressentiments intéressés à établir un nouvel ordre de choses, à briguer le titre de régénérateur : il n’apporta au ministère que l’intrigue et la corruption, l’égoïsme d’un vieillard courtisan, joint à la légèreté et à l’esprit futile de sa jeunesse.

M. le comte de Maurepas commença par s’occuper des Parlements exilés depuis près de cinq ans. Leur rappel fut regardé comme une des plus grandes fautes de son ministère. Le maréchal de Muy, ministre de la guerre, stoïcien sévère, mais auquel on n’attribuait pas tous les talents nécessaires à sa place, l’apostropha en plein conseil, lui reprochant de déshonorer sa vieillesse et d’abuser de la jeunesse du roi. La suite a prouvé que le maréchal avait raison, au moins dans le système du despotisme de la cour. Le roi eût été

  1. On peut et l’on doit regarder la vie dissolue du roi comme une des principales causes de la déprédation des finances. On évalue à 500 millions ce qu’il en a coûté à l’État, sous ce règne, pour les dépenses que leur nature honteuse rendait essentiellement secrètes ; des milliers de familles leur durent l’opprobre et la fortune, et puisèrent dans le trésor public, les unes le prix attaché aux plus avilissantes faveurs, les autres le dédommagement de leur humiliation ; mais qui peut calculer au juste ces mystères ? Aussi le Parlement de Paris remontra-t-il que, sous Louis XIV, les bons non motivés ne s’étaient jamais élevés à plus de 10 millions, et que les siens passaient déjà cent.
  2. On trouvera plus loin une notice plus étendue du caractère personnel et des opérations des ministres les plus marquants qui se sont succédés sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. Nous avons pris le fond de la plupart de ces portraits dans des ouvrages imprimés avant la Révolution, et publiés par des hommes qui avaient été à même d’avoir une connaissance particulière des faits. Nous ne nous sommes servis que pour quelques-uns d’un ouvrage imprimé depuis la Révolution ; c’est celui de M. Sénac de Meilhan, qui contient diverses particularités sur les ministères de M. de Calonne et de M. Necker. Nous en avons tiré les détails les plus frappants, sans prétendre cependant nii en garantir la vérité, ni partager toutes ses opinions sur des personnages vivants, et qui ne doivent encore être jugés que comme hommes publics.