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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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publics, supprima une infinité de charges onéreuses à l’État et au peuple, diminua le nombre des priviléges, fit des remises sur les tailles, le sel, les aides, réduisit les charges à 23 735 274 livres ; elles montaient en 1661, à 52 377 184 livres. Il porta les revenus, qui ne s’élevaient, à la même époque de 1661, qu’à 84 200 000 livres, à 116 053 374 livres. Le trésor royal n’avait pas 32 millions de revenus quand il prit les finances : en 1683, il en avait plus de 92. Malgré ses économies, ce grand administrateur encouragea les sciences, le commerce et l’industrie, et les faisait tous fleurir. Son principe était celui de Sully, c’est-à-dire de consulter l’intérêt du roi et celui des sujets. Leurs successeurs n’ont été guidés que par le besoin d’argent et la nécessité d’en trouver pour rester en place.

C’est à Colbert que la France dût les puissantes ressources qui lui restèrent pour se réparer, savoir : les grandes manufactures de Lyon, de Tours, de Nîmes ; celles de Vaurobais, Sedan, Louviers et Elbeuf ; celles des Gobelins et des Glaces. Mais la révocation de l’édit de Nantes, et la persécution des protestants nous firent perdre une partie des fruits du génie de Colbert.

Les successeurs de Colbert, au lieu d’éteindre, à son exemple, des rentes et des offices à gages, en créèrent sans mesure, puisqu’en 1715, ils avaient chargé l’État de plus de 73 millions de rentes ; leur incapacité et les désastres de la vieillesse de Louis XIV mirent le royaume à deux doigts de sa perte.

Après sa mort, le discrédit devint bientôt universel ; les banqueroutes se multiplièrent ; l’argent disparût ; le commerce fut anéanti ; les consommations diminuèrent ; on négligea la culture des terres ; les contrats sur l’hôtel de ville ne se vendaient que la moitié de leur valeur. Louis XIV, sur la fin de ses jours, eut un besoin pressant de 8 millions ; il fut obligé de les acheter par 32 millions de rescriptions : c’était prêter à 4 cent p. cent.

L’État avait, il est vrai, 115 389 074 livres de revenu, mais les charges emportaient 82 859 504 livres ; et il ne restait pour les dépenses du gouvernement que 32 529 570 livres, à 30 livres 10 sous 6 deniers le marc. Encore ces fonds étaient-ils consommés d’avance pour plus de trois années !

Lorsque le duc d’Orléans prit les rênes du gouvernement, ses vrais amis désiraient qu’il assemblât les États généraux : c’était un moyen infaillible de conserver, d’augmenter même la faveur publique, alors ouvertement déclarée pour lui. Philippe se prêtait, sans efforts, à cet expédient : malheureusement les perfides confidents qui avaient usurpé trop d’empire sur ses pensées, réprouvèrent un projet où leurs intérêts particuliers ne se trouvaient pas ; il fut abandonné[1].

À la mort de ce prince, l’État était endetté de 2 471 000 000 de livres, l’argent étant à 27 livres le marc, ce qui ferait de nos jours plus de quatre milliards ; encore est-on étonné que la dette ne soit pas plus énorme, quand on compare les dépenses en tous genres et tous les revers de son règne, avec la modicité de ses revenus. Pour le concevoir, il faut convenir que Colbert a trouvé d’immenses ressources dans ses opérations, et surtout dans le commerce qu’il ouvrit avec les quatre parties du monde.

Ce ne fut qu’après la mort de Louis XIV que la plaie publique fut bien connue. Ce monarque, qui en avait imposé à la fortune, et qui avait soutenu en grand homme les revers les plus accablants, masquait d’un fantôme de grandeur les accès de l’abîme ; mais qu’il parût profond quand on n’eût plus que sa mémoire à admirer ou à censurer et qu’on éprouva les terreurs qui précèdent la guerre civile ! Si le testament du feu roi n’avait pas été cassé, que serait devenu le vaisseau de l’État sous la main impuissante du duc du Maine ?

Le génie du duc d’Orléans pouvait seul rassurer les esprits. Il corrompit les mœurs, mais il sauva le royaume, et entreprit le hardi projet d’éviter le déshonneur d’une banqueroute presque évidente.

Le régent, voulant opérer une liquidation à peine possible, avait besoin de moyens plus qu’ordinaires ; il saisit avec avidité le système captieux de l’Écossais Law, au moyen duquel on devait satisfaire aux engagements publics avec des billets, et se rembourser sur les immenses profits que produirait la découverte de la Louisiane, du Mississipi, etc. Malheureusement les bénéfices étaient fantastiques. Cependant, d’après ces spéculations, on établit en 1716 une banque dont le prix des actions était hypothéqué sur les produits et bénéfices du commerce du Sénégal ; elle acquit le privilége de l’ancienne compagnie des Indes, fondée par Colbert, et prit les fermes générales. On courut avec fureur acheter des actions qui semblaient porter sur d’aussi vastes fondements. Elles montèrent dix, vingt fois peut-être au-dessus de leur première valeur. Les plus grandes fortunes furent bouleversées, et des agioteurs, des intrigants, en firent d’immenses dans l’espace de quelques mois. Law, enivré de l’ivresse publique, créa tant de billets, qu’en 1791, la valeur chimérique des actions valait quatre-vingts fois tout l’argent qui pouvait circuler dans le royaume. On remboursa en papier les rentiers de l’État. En soutenant le taux des dividendes, l’illusion se soutint quelque temps encore ; mais le régent, emporté malgré lui par le mouvement rapide d’une machine aussi grande que compliquée, ne

  1. On trouvera plus loin des notes historiques sur les tentatives faites pendant la Régence et sous le règne de Louis XV pour une convocation des États généraux.