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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

triomphes naissait le germe de la vengeance ; et de ses revers, l’espoir d’être enfin vengé. Le luxe de sa cour, la magnificence de ses bâtiments en tout genre, les travaux exécutés à Brest, à Toulon, à Rochefort, à Dunkerque, étaient déjà plus que suffisants pour dessécher le trésor royal ; l’entretien de ses armées épuisa ce royaume.

Mazarin avait administré arbitrairement ; les troubles et les guerres qui désolèrent la France pendant la minorité de Louis XIV lui avaient donné la facilité de s’enrichir au point de faire désirer son alliance par des princes. Ceux qui administraient sous lui avaient, comme lui, concouru à épuiser le Trésor dans la proportion de leur faveur et de leurs places ; en sorte que Colbert trouva, en 1661, les finances dans un désordre effrayant. À l’époque du règne de Charles VII, les dépenses de la cour n’avaient jamais passé 94 000 livres. C’est avec le besoin ou la manie des grandes armées, avec l’établissement de la marine militaire, mais surtout avec la corruption des cours, que s’accrurent le besoin des finances, dans une proportion plus que décuple de l’accroissement naturel qu’eussent pu apporter dans les impôts l’extension du territoire et la multiplication des métaux précieux. Aussitôt que l’épidémie des croisades eût entraîné les Français loin de leurs frontières ; aussitôt que des ennemis étrangers se portèrent en force sur la France, il fallut des fonds réguliers et considérables. Les rois auraient bien voulu ordonner eux-mêmes ces contributions ; plus d’une fois ils le tentèrent. La réclamation des gens éclairés les avertit de leurs usurpations, et les révoltes des peuples les forcèrent à y renoncer. Il fallut reconnaître que cette autorité appartenait à la nation assemblée, et n’appartenait qu’à elle ; ils jurèrent même à leur sacre que ce droit sacré, inaliénable, serait à jamais respecté ; et ce serment eut quelque force durant plusieurs siècles.

Pendant tout le temps que la couronne n’avait eu d’autre revenu que le produit de son domaine, c’étaient ses sénéchaux, ses baillis, qui, chacun dans leur département, étaient chargés du recouvrement des deniers publics. Il fallut établir un nouvel ordre de choses, lorsque les impositions deviurent générales dans le royaume. Soit que les taxes portassent sur la personne ou sur les maisons des citoyens, soit qu’on leur demandât le cinquième ou le dixième de leurs récoltes, le cinquantième ou le centième de leurs biens meubles et immeubles, soit qu’on fît d’autres combinaisons plus ou moins heureuses, c’était une nécessité d’avoir des gens pour recueillir ces différents tributs ; et le malheur de l’État voulut qu’on les allât chercher en Italie, où l’art de pressurer les peuples avait déjà fait des progrès immenses.

Ces financiers, connus sous le nom de Lombards, ne tardèrent pas à montrer un génie fertile en inventions frauduleuses.

Après leur expulsion, les États généraux, qui ordonnaient les subsides, se chargèrent d’en faire la levée ; et cet arrangement continua jusqu’à Charles VII, qui, le premier, se permit d’établir un impôt sans le consentement de la nation, et qui s’appropria le droit de le faire percevoir par ses délégués. Sous le règne de Louis XII, le revenu public, qui s’était accru par degrés, fut porté à 7 950 000 livres. Cette somme représentait 36 de nos millions actuels.

À la mort de François Ier, le fisc recevait 15 730 000 livres ; c’était 56 de nos millions. Sur cette somme, il fallait prélever 60 416 livres 3 sous 4 deniers pour les rentes perpétuelles créées par ce prince, et qui, au denier douze, représentaient un capital de 725 000 livres : c’était une innovation. Ce n’est pas que quelques-uns de ses prédécesseurs n’eussent connu la funeste ressource des emprunts, mais c’était toujours sous la caution de leurs agents, et l’État n’était jamais engagé.

Quarante ans de guerres civiles, de fanatisme, de déprédations, de crimes, d’anarchie, plongèrent les finances du royaume dans un désordre dont il n’y avait qu’un Sully qui pût les tirer. Ce ministre économe, éclairé, vertueux, appliqué, courageux, éteignit pour 7 millions de rentes, diminua les impositions de 3 millions, et laissa à l’État 26 millions grevés seulement de 6 025 666 livres 2 sous 6 deniers de rentes, toutes charges déduites : il entrait donc 20 millions dans le trésor royal, 151 millions 500 mille livres suffisaient pour les dépenses publiques, et les réserves étaient de 4 500 000 livres.

La retraite forcée de ce grand homme fut une calamité publique ; la cour s’abandonna d’abord à des profusions qui n’avaient point d’exemple dans la monarchie, et les ministres formèrent dans la suite, des entreprises que les forces de la nation ne comportaient pas. Ce double principe d’une confusion certaine ruina de nouveau le fisc. En 1661, les impositions montèrent à 84 222 096 livres ; mais les dettes absorbaient 52 377 172 livres : il ne restait par conséquent, pour les dépenses publiques, que 31 844 924 livres, somme évidemment insuffisante pour les besoins de l’État. Tel était l’état des finances lorsque l’administration en fût confiée à Colbert.

Il commença par reconnaître les revenus et les dettes de l’État pour établir un meilleur ordre dans l’administration des finances, et il réussit à rendre son travail si simple et si clair, qu’il était à la portée du roi, qui écrivait chaque mois de sa propre main le montant de la recette et de la dépense, et la balance de l’une et de l’autre. En 1662, il trouva que les dettes en anticipations, en emprunts sur les receveurs généraux, et les aliénations montaient à 451 354 033 livres. Pendant son administration, il paya non-seulement ces dettes, mais il augmenta successivement tous les revenus