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INTRODUCTION


« Un esclave ne doit rien, parce qu’il n’a rien en propre ; un homme de cœur sortira bientôt d’un pays où le despotisme sera établi : s’il ne le peut pas, il sera bientôt dégradé. Où la patrie n’est rien, on ne lui doit rien, parce que les devoirs sont réciproques. Le gouvernement qui appartient à un seul homme dispose de tous les autres pour son plaisir, son caprice ou son intérêt ; dès lors, chaque individu a la permission tacite de s’avantager autant qu’il le pourra sur le souverain. En justice réglée, il ne saurait y avoir de trahison dans un état despotique, parce que l’esclave ne peut être ni créancier ni débiteur. On ne saurait enfreindre des lois et des règles dans un gouvernement dont l’essence est de n’en avoir point ; et ce défaut de règles est le vice qui doit tout détruire ; car rien ne se conserve et ne se reproduit dans la nature que par des lois fixes et invariables. »

Telles sont les paroles que Mirabeau, du fond d’un cachot, adressait au despotisme dans son ouvrage sur les lettres de cachet. Veut-on que leur vérité devienne plus frappante, il suffit de relire l’histoire des derniers excès du despotisme en France. Des dettes énormes et un crédit public anéanti, des impôts dévorants, un peuple aigri par ses malheurs, prêt à se refuser à leur exaction, d’impuissantes lois substituées violemment à nos lois antiques… de nouveaux magistrats, à la fois investis de l’opprobre et de leurs dignités ; un militaire éperdu, indécis entre l’ordre des ministres et la voix de la conscienee, effrayé de la désobéissance, mais plus effrayé encore des assistances qu’on lui commande ; des provinces entières prêtes à repousser la violence par la violence, unies encore à la couronne par l’habitude de leur attachement pour leur roi, mais confédérées par leur haine et leur mépris pour les ministres : ce tableau donne l’image exacte des derniers règnes et des commotions qui suivirent les dernières fureurs de la tyrannie, obligée de recourir aux remèdes dont la violence devait la détruire.

Une longue servitude avait flétri toutes les âmes. Il fallait que l’excès du despotisme vînt les tirer de l’engourdissement léthargique dans lequel elles étaient plongées : il fallait nous donner de la colère pour nous rendre un peu de ressort. Les formes de la justice anéanties, des enregistrements forcés, des exils, deux cent mille citoyens arrachés de leurs foyers, jetés dans des cachots ou bannis pour de misérables querelles de théologie ; des lettres de cachet sans nombre achetées et surprises à l’autorité, souvent vendues par des courtisanes ; deux banqueroutes ouvertes et authentiques ; des milliers d’infractions à la foi publique, palliées par des ruses de chevaliers d’industrie ; nouveaux vingtièmes ; augmentation de taille ; réunion arbitraire au domaine ; surcharge sur les denrées de première nécessité, etc.

Tous ces prodiges de tyrannie ne suffirent pas pour nous irriter. Le peuple se reposait même avec la confiance de la sécurité sur le recours des Parlements. Le chancelier Maupeou ne tarda pas à lui montrer sur quels roseaux fragiles il avait mis son appui. Ils furent tous cassés, leurs membres exilés, relégués et dispersés dans tout le royaume, pour apprendre à la France entière combien était redoutable la vengeance d’un ministre. On murmura dès lors, mais on n’osait encore opposer aucune résistance, et l’on n’était que faiblement attaché à des corps uniquement occupés de leurs prétentions ambitieuses.

Le despotisme avait commencé sous Richelieu ; ladégradante servitude succéda à la franchise du règne de Henri IV. Il voulut asservir jusqu’au génie. C’est lui qui persuada aux rois qu’ils pouvaient oser tout ce qu’ils pouvaient exécuter. Cette détestable leçon égara Louis XIV.

L’intrigant et avare Mazarin n’était pas propre à réparer le mal. Il n’avait pas, comme Richelieu, les vices d’un grand caractère, mais les basses passions d’une âme fausse et avide. Il vexa le peuple, l’accabla d’impôts, accumula des trésors et éleva sa famille.

Deux passions funestes aux peuples dominèrent Louis XIV : le faste et l’ambition. La première obligea les courtisans à d’énormes dépenses, et les conduisit à s’avilir pour y suffire. L’intrigue multiplia ses ressorts pour avoir de l’argent, et devint moins scrupuleuse sur le choix des moyens.

Mais la prétention de dicter des lois à l’Europe soumise, et de la courber sous le joug, le voua à des guerres interminables. De ses orgueilleux