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imprimer à tout le globe le mouvement rapide et désordonné de l’imagination qui les agite. Rien ne sera bon pour eux que les idées qui viennent de naître ; la science politique n’est créée que depuis eux ; la raison a attendu qu’ils fussent nés pour avoir des oracles ; tout ce qui n’a pas été créé par eux doit disparaître.

Combien il était difficile qu’une assemblée toute neuve dans l’art de gouverner, plus neuve encore dans celui de régénérer une nation, évitât toujours l’un et l’autre de ces excès ! Elle fit de grandes choses, elle en omit de plus grandes encore ; elle voulut opposer au pouvoir royal, qu’elle ne crut pouvoir détruire, celui d’une innombrable quantité d’administrations électives, qui constituaient une sorte de despotisme populaire ; et en plaçant ainsi dans sa constitution, à côté d’un trône, les excès de la démocratie, elle y sema, par cette alliance monstrueuse, le germe de la guerre intestine qui devait la détruire.

Cependant les restes de la barbarie fuirent devant ses lumières ; la nation se refondit ; le gothique édifice des lois arbitraires tomba aux pieds de sa sagesse, et elle laissa à ses successeurs tous les moyens de remplacer par une constitution plus régulière ces informes débris.

La Révolution fut faite dès qu’on vit un corps de représentants substitué aux antiques corporations. La division des ordres avait créé, dans les états généraux, trois corps distincts, sans cesse en état de guerre l’un contre l’autre, et toujours moins occupés de l’intérêt public que de leurs rivalités personnelles. C’est dans une assemblée homogène, composée de députés temporaires du peuple, qu’on trouvait enfin les plus sûrs moyens de faire prédominer, par l’intérêt même des hommes qui la composaient, le bien public sur les passions particulières.

On ne peut déraciner sans doute entièrement l’intérêt personnel, parce qu’il est planté par la nature et malheureusement cultivé par toutes nos institutions : mais dans une assemblée nationale, il n’est jamais bien dangereux, parce qu’il s’accorde à beaucoup d’égards avec l’intérêt public, et que, dans ce qu’il a de contraire, il est d’une injustice si frappante et si honteuse, qu’il rougit de se montrer en présence de tout le peuple.

Il n’y a point d’homme qui puisse vouloir autre chose que son bonheur ; ce qui est vrai de l’individu ne l’est pas moins des aggrégations. Si cette aggrégation est un peuple, si elle est formée des députés du peuple, pris indistinctement dans toutes les classes, l’unique corps que cette assemblée représentera sera le peuple, et le résultat des délibérations deviendra nécessairement le bonheur général.

Il en est autrement des compagnies, telles que furent les Parlements et les ordres privilégiés dans les États généraux : ne pouvant se conformer par la direction variable des volontés momentanées, elles sont comme forcées de respecter religieusement les vieux principes qui les ont formées autrefois, et gouvernées dans tous les temps. Ces principes, que personne n’ose discuter, sont devenus des préjugés, et sont, par conséquent, plus forts que la raison. Ils ont pour but unique le bonheur, bien ou mal entendu, de ces sociétés. Mais ensuite ce bonheur va-t-il s’unir à la félicité publique ? C’est une question qui sera le plus souvent indifférente à ces corps, comme elle est presque toujours étrangère aux projets que chacun de nous forme pour son avantage personnel.

Tous ces différents groupes, ces aggrégations particulières, établies dans les États mal constitués, ont un objet qui est commun par rapport à leurs membres, mais qui est réellement particulier à l’égard de la nation, et de là vient qu’un sentiment naturel au cœur humain lui représente comme noble tout ce que nous faisons pour les autres ; et la vue de la plupart des hommes étant infiniment bornée, ils prennent aisément leur société pour le public, ils se croient désintéressés, lorsqu’ils ne travaillent que pour la masse dans laquelle ils sont confondus ; ils se glorifient de tout ce qu’ils font pour elle ; leur attachement à cette petite république leur paraît un dévouement, et ce qu’ils souffrent pour la défendre se revêt à leurs yeux de tous les honneurs d’un sacrifice.

Séparez maintenant ces membres d’un même corps, jettez-les dans un cercle d’hommes imbus de