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M. de Calonne avait cru, en dépouillant le clergé, se concilier les deux autres ordres, mais il se fit des ennemis de plus, et ne se concilia personne. Il s’était imaginé qu’à la faveur d’un plan qui offrait en effet de grands avantages, et accordait à la nation plusieurs des choses qu’elle désirait depuis longtemps, il ferait passer des impôts désastreux, et esquiverait les attaques des Parlements, ou les écraserait sous le poids du vœu des notables ; mais on ne voulut ni de ses impôts ni de ses plans : la main qui les offrait les rendait trop suspects. Il soutenait qu’il avait sauvé l’État ; mais l’assemblée jugea qu’il l’avait ruiné. Le roi porta le même jugement, et ôta à ce dépositaire infidèle et sa confiance, et le cordon de ses ordres.

La coupable adresse que mettaient les courtisans, pour parvenir à dérober au roi la crise où se trouvait le royaume, n’était pas un moindre obstacle à l’utilité de l’assemblée des notables. La noblesse espérait ajouter un nouveau ressort à sa puissance et gagner quelques marches de ce trône qu’elle brûlait depuis longtemps de partager ; les grands, inquiets, n’ayant ni le courage de supporter la médiocrité, ni le talent d’en sortir, intriguèrent avec succès en apparence, mais furent bientôt entraînés par le cours des événements.

À tant d’efforts on vit de hardis novateurs opposer avec courage les armes de la philosophie, l’intérêt personnel des peuples. Mais ce n’est pas l’ouvrage d’un moment que de redonner à une grande nation son ancien patriotisme, et de faire revivre en elle l’amour du bien public, en lui rendant la faculté de s’en occuper : c’est par des moyens successifs et lents que l’on décompose une nation, qu’on éteint sa vie politique ; ce n’est pas dans un instant qu’on la reconstitue, qu’on la régénère.

Les siècles écoulés avaient accumulé sur la France des charges immenses ; il n’était plus d’autres ressources pour les alléger, que celles qu’on pouvait tirer de l’énergie même de la nation ; il fallait lui montrer quelques lueurs de liberté, si l’on voulait lui faire recouvrer sa vigueur. Ces tributs, que des peuples forcés à une aveugle soumission, ne se laissent arracher qu’avec douleur, sont offerts avec zèle par des peuples éclairés sur les besoins publics, devenus les leurs, du moment qu’ils leur sont connus, et qu’ils sont appelés à faire eux-mêmes la répartition. Ainsi la force des choses contraignit les ministres à donner eux-mêmes le premier mouvement à la Révolution.

Ce fut en annonçant l’établissement des assemblées provinciales, que le roi parut manifester pour la première fois qu’il voulait rendre à son peuple une partie de son existence ; les discussions qu’elles firent naître conduisirent bientôt à la demande des assemblées nationales.

Leur constitution, suivant l’idée du ministre, se rapprochait des principes du droit naturel. Les uns lui ont reproché d’avoir confondu tous les rangs, d’autres d’avoir répandu dans son mémoire des idées encore trop nouvelles pour une nation vieillie dans les préjugés, d’avoir plus consulté son cœur que son siècle. Il faut convenir, en effet, que ce n’est pas sans de grands efforts, et que ce n’est même que graduellement que l’on revient aux idées primitives, quand d’antiques préjugés ont mis les prestiges de l’orgueil à la place des premiers sentiments de la nature.

Un des principaux vices des assemblées provinciales fut d’avoir consacré la distinction des ordres dans une institution dont la popularité devait être le premier mérite.

Cette distinction, à laquelle on attachait une si grande importance, qu’avait-elle produit dans la plupart des pays d’États, si ce n’est des despotes et des victimes ? L’attribution à un seul ordre de la présidence aux assemblées provinciales avait donné le sceptre au clergé. La noblesse dominait après lui ; les communes restèrent dans une exclusion avilissante qui aigrissait les esprits. N’était-ce pas un juste redressement que d’élever toutes les âmes au même niveau, que de leur rendre leur primitive égalité, et de faire jouir chacun des cointéressés de l’influence qui lui appartient dans une élection où les rangs ne doivent être marqués que par les vertus, la capacité et l’habileté de se rendre utile ?

Cependant ce moyen a paru aux notables inconstitutionnel et anti-monarchique, même pour l’égalité du droit de présidence entre les trois ordres. En se refusant à faire dépendre d’un choix