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grand hommage rendu aux principes essentiels de tout bon gouvernement, hommage forcé sans doute, mais qui eut dans ses suites des avantages incalculables.

Dans l’intervalle de la convocation et de l’ouverture de l’assemblée, il était aisé de prévoir quels orages les ennemis du ministre s’efforceraient d’attirer sur sa tête.

Déjà le clergé alarmé prévoyait les changements qui le menaçaient ; la connaissance parfaite qu’avaient ses chefs des abus qui leur étaient utiles, la possibilité de couvrir d’un voile respecté l’existence de ces mêmes abus, la facilité de réunir la durée de leurs priviléges aux objets spirituels dont ils devaient uniquement s’occuper, l’ignorance du peuple, l’ancienne habitude d’effrayer le monarque, l’usage de perpétuer leur existence par la terreur qu’ils imprimaient aux ministres qui avaient voulu la changer, l’espoir de confondre leurs réclamations avec l’intérêt de la noblesse : telles étaient les armes de ce corps redoutable, ou plutôt trop longtemps redouté.

Réunissez à cela tout ce que l’habitude de discuter, de gouverner, de dominer, donne de talents et de lumières ; l’éloquence tonnante des uns, insinuante des autres, artificieuse de quelques-uns ; en général, cet art d’émouvoir sourdement les esprits, cette souplesse qui fait éviter le choc pour conserver l’intégrité de ses prétentions, qui fait attendre, pour les faire reparaître, des circonstances critiques, et profiter du malheur de l’État pour reprendre aussitôt sa première existence ; à ces traits, vous reconnaîtrez que c’était là le principe des plus grands obstacles, le foyer de la résistance, l’âme de l’opposition.

Le mémoire sur l’impôt territorial en nature fut présenté à l’assemblée ; c’était à ce moment critique que le clergé attendait le ministre, et se flattait de l’écraser sous le poids de ses déclamations.

Ce mémoire offrait une foule de principes irréfragables et de conséquences nécessaires : ses résultats devaient séduire tout esprit non prévenu ; mais ce même mémoire contenait des vérités cruelles, qui durent exciter toute l’animosité du clergé. C’est dans cet écrit que, rendu à la nation, il était placé avec la noblesse, confondu avec elle, soumis avec elle aux impôts. Cette égalité était un outrage à ses yeux. Il se trouvait avili, parce que ses immenses richesses allaient enfin subir les taxes imposées aux fortunes des défenseurs de la patrie.

Il sentit néanmoins que présenter ses prétentions dans toute leur étendue, c’était s’exposer à un combat inégal, c’était s’offrir sous l’odieux aspect d’un corps étranger à l’État qui se refuse de contribuer à sa défense. Attaquer l’impôt en lui-même et dans ses formes, soutenir qu’il était injuste et impraticable, proscrire à jamais l’idée d’une subvention perçue en nature, lui a paru être un moyen plus sûr de renverser le plan destructeur de ses priviléges, et de se ménager la possibilité de s’en ressaisir un jour. Le clergé a toujours merveilleusement su tirer parti de ce principe, que la vie politique d’un ministre est bornée, et que l’esprit des corps est immortel.

On a donc fait trouver des difficultés insurmontables dans la subvention territoriale en nature, la crainte d’une perception trop dispendieuse, le défaut de bases certaines pour la classification des terres, l’inconvénient d’étendre l’imposition jusque sur les frais de culture. Le clergé, qui fit valoir ces raisons avec l’énergie la plus exagérée, n’a pas senti que tout ce qu’il disait contre cette espèce de dîme royale se rétorquait avec avantage contre la dîme ecclésiastique qui était beaucoup plus considérable.

Le clergé préférait les dons gratuits ; ce fut toujours le moyen dont il paya la restauration de ses priviléges. Voici son projet : Lorsque la classification exacte des sommes que le clergé doit fournir à la contribution générale eut été faite, il devait dire au roi : Vous n’avez plus d’intérêt à la destruction de nos antiques priviléges, puisque nous offrons, en conservant nos formes, de verser au trésor royal le contingent auquel nous sommes assujettis. Cette offre adoptée, le clergé continuait de voir, dans les crises orageuses de l’État, les causes de son bonheur particulier ; il les attendait avec autant d’impatience que d’attention. C’est dans ces moments difficiles qu’il se faisait un mérite d’offrir des secours, un emprunt, un don gratuit, qu’on devait récompenser en lui rendant sa première existence.