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faites à un autre seigneur, ou qu’il en avait essuyées, forcés même de marcher contre les rois, dans ces guerres intestines et cette anarchie sanglante de plusieurs siècles, les malheureux serfs étaient chaque jour exposés à voir leurs maisons détruites, leurs familles captives et livrées au plus offrant ils étaient comme un patrimoine que les seigneurs se vendaient et se revendaient.

L’oppression exercée par le clergé n’était pas moins cruelle ni intraitable ; on sait que, dans toutes les religions, celui-ci ne chercha qu’à aggraver le joug des peuples, auxquels il vendit jusqu’au droit de la sépulture. C’est principalement de la France qu’on pourrait dire :

« On ne peut sans argent mourir en ce pays…
Et les enterrements, Monsieur, sont hors de prix. »

N’avait-il pas établi des impôts non moins ridicules et cruels sur les sources même de la vie, sur les naissances, sur les aliments que le malheureux tirait des sueurs de son travail ? Hélas ! combien de fois les dîmes ecclésiastiques, aussi bien que les dîmes inféodées, ne furent-elles point arrosées des larmes et du sang de nos ancêtres !

On ne peut s’empêcher de remarquer, à ce sujet, en remontant des effets aux causes, que le despotisme semble être de l’essence des religions, en général, du moins, de toutes celles qui ont été créées pour l’intérêt des prêtres. Ils ont dû faire de la divinité un tyran, pour exercer sous sa caution une puissance sans frein : plus ils ont voulu d’autorité, plus ils ont dû étroitement entraver la raison. Ils ont dit :

« On devient sacrilège alors qu’on délibère…
...............
« Loin de moi les mortels assez audacieux…
« Pour juger par eux-mêmes, et voir tout par leurs yeux…
....................
« Quiconque ose penser n’est pas fait pour me croire. »

C’est en donnant une sanction divine, d’abord à la féodalité, qui n’était qu’une sorte de discipline militaire qui affermissait leur empire, ensuite au despotisme royal, que l’opinion de cette origine semblait leur donner le droit de partager, qu’ils commencèrent par façonner les peuples au joug, et finirent par faire trembler les rois eux-mêmes devant leur magique pouvoir.

Jusqu’à Louis XIII, les rois furent contenus par les suzerains et les grands. Lorsque Richelieu eut exécuté si habilement le projet depuis longtemps conçu d’abaisser la puissance de ceux-ci, le pouvoir royal devint absolu, et l’ambition du clergé, excitée par cet accroissement, s’éleva jusqu’au gouvernement du royaume ; s’il ne voulut plus déposséder les rois, il voulut gouverner en leur nom ; la cour devint le théâtre de ses plus actives intrigues, et lorsqu’il ne rivalisa plus de pouvoir avec elle, il fut le complice de ses crimes.

En attirant les principaux seigneurs à la cour, le cardinal de Richelieu purgea les provinces de quelques tyrans ; mais il acquit par là même plus de moyens d’opprimer ces provinces ; à la vérité, il acheva d’affranchir le roi et la puissance des seigneurs ; mais en les transformant en valets courtisans, en déprédateurs avides, il jeta les germes de corruption qui bientôt désolèrent la France. Ainsi donc, si les coups d’autorité de ce ministre ne portèrent que sur la haute noblesse, s’il meubla les prisons d’État de seigneurs qui avaient assez d’énergie pour ne vouloir pas être ses valets, ni s’assimiler au père Joseph, le premier alguasil de ce terrible inquisiteur, s’il fit couler leur sang par la main du bourreau, ils se vengèrent bien par la suite sur le peuple ; en s’emparant de tous les accès du trône, cette portion de la noblesse fit plus de mal sur ce théâtre d’intrigues qu’elle n’en eût jamais pu faire dans ses terres.

Le ministère, de son côté, conquit tout le pouvoir que perdirent les grands, et l’on ne sentit pas assez que le despotisme, pour être simplifié, n’en serait pas moins actif, qu’il n’aurait que plus