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cherchions à élever quelques monuments à l’histoire ; cet esprit est l’amour de la vérité, l’amour des hommes, et ces deux idées renferment toute la morale de l’historien.

Pour atteindre, autant qu’il était désirable, ce caractère d’impartialité, qui regarde le vrai seul comme utile, et sur lequel nous voulions fonder le seul mérite de cet ouvrage, nous avons dû nous défier souvent de notre propre jugement ; c’est celui des écrivains les plus accrédités que nous avons consulté dans tous nos récits, et ce sont leurs expressions que nous avons conservées lorsqu’elles nous ont paru propres à rappeler l’esprit du temps dans lequel ils ont écrit.

Nous devions même ne pas nous en rapporter toujours à leurs interprétations, lorsque nous avions à parler des faits principaux sur lesquels sera basé le jugement que l’Europe impartiale et la postérité porteront de la Révolution française : aussi, pour mettre le lecteur à même de réformer leur jugement et le nôtre, avons-nous eu soin de rapporter sur toutes les circonstances importantes les pièces authentiques qui peuvent servir à les caractériser.

Nous avons pensé qu’un tel recueil, s’il peut intéresser les Français, en leur rappelant les souvenirs dont doit se composer leur expérience et leur orgueil national, pourrait piquer plus encore la curiosité des étrangers auprès desquels les ennemis de cette Révolution l’ont si odieusement calomniée par leurs récits, pendant que l’interruption de toute relation entre eux et nous ne leur permettait pas de la juger par eux-mêmes, mais qui vont sans doute, enfin, se livrer avec d’autant plus d’intérêt au spectacle de ce vaste théâtre de gloire, qu’ils ont été plus longtemps privés des moyens d’en apprécier toutes les scènes. Quelle plus utile et plus brillante école pour les amis de la liberté, dont le nombre s’accroît chaque jour en Europe, quel moyen d’instruction plus agréable pour eux, qu’un ouvrage dans lequel ils pourront recueillir tout ce que nos gens de lettres, nos publicistes, nos législateurs, nos philosophes ont dit et publié pour réparer, développer et consommer une révolution dont l’heureuse influence paraît déjà se faire sentir chez tous les peuples !

Nous avons cru doubler pour eux cet intérêt, en reprenant les choses d’un peu plus haut, en les faisant passer par tous les degrés intermédiaires qui nous ont conduits au terme de notre régénération, en leur offrant toutes les pièces originales qui pouvaient jeter du jour sur les faits, appuyer la critique, peindre au naturel les mœurs et les habitudes des ministres et des courtisans. Cette peinture fidèle de l’État de la France avant la Révolution, des progrès et de la décadence du despotisme, de nos préjugés et du relâchement où se trouvait le royaume quand la Révolution commença à se développer, nous a paru être comme l’ombre nécessaire au tableau de celle-ci. Nous ne pouvions ignorer d’ailleurs combien il existe encore d’hommes intéressés à embellir des couleurs trompeuses de leurs regrets ce régime désastreux, et à vanter la prétendue constitution de la France monarchique ; l’aperçu que nous donnons de cet ordre de choses suffira pour détruire ces illusions et ces sophismes.

C’est vainement que dans tous les siècles s’accumulèrent sur les peuples asservis les longs ouvrages du despotisme ; l’amour de la liberté et les vérités premières qui lui servent de bases se conservèrent dans le cœur et dans la mémoire des hommes ; elles reparurent toujours avec éclat, et entraînèrent la dissolution des empires, ou nécessitèrent leur régénération.

La France fournit un mémorable exemple de ces vérités ; c’est de tous les États de l’Europe moderne celui dans lequel les droits des peuples furent d’abord le plus longtemps connus et pratiqués, méprisés ensuite jusqu’au dernier terme de l’avilissement de l’homme, et enfin proclamés avec une solennité et un degré d’énergie qu’on n’avait point encore vus. Dès l’origine de la monarchie, nos pères se réunissaient dans les champs de mars, autour d’un roi qu’ils avaient élu ; le vœu général dictait la loi ; l’autorité législative résidait tout entière dans ces augustes assemblées ; et les rois étaient tellement soumis aux lois nationales, que plusieurs fois, par les décrets de la nation, ils furent punis pour les avoir enfreintes.

Si ces assemblées furent par la suite altérées dans leurs formes, ce ne fut que par l’impossibilité