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AVANT-PROPOS


On ne pouvait remplir une tâche plus difficile que celle de renfermer dans un cadre à la fois fidèle et circonscrit ce nombre prodigieux d’événements extraordinaires qui se sont pressés depuis qu’on a commencé à parler de la Révolution française. Devant elle semble s’effacer tout ce que l’histoire des peuples antiques offre de mémorable ; la science politique, celle de la législation civile, la connaissance des hommes, celle de leurs droits comme de leurs devoirs et de leurs passions, enfin le progrès de toutes les connaissances qui s’appliquent au perfectionnement de la société, ont pris dans quelques années, par les efforts simultanés de tout ce qu’un peuple nombreux renfermait d’esprits actifs et instruits, un développement auquel elles n’avaient point encore paru pouvoir atteindre ; en sorte que l’histoire de cette révolution semble être comme une bibliothèque politique devant laquelle un nouveau Mahomet aurait, presque sans danger pour l’expérience des peuples, proscrit toutes les autres.

La difficulté de classer et de décrire une masse de faits dont l’admiration de ceux qui portent leur œil sur le passé a peine à embrasser la multitude, n’était pas la seule que nous eussions à vaincre dans cette entreprise ; la partie la plus nombreuse de ces événements, ceux dont l’importance s’est accrue avec les succès de la Révolution, se trouvait déjà recueillie dans les feuilles du Moniteur qui ont paru depuis le 24 novembre 1789, recueil qui a le précieux avantage de comprendre dans son étendue tous les détails les plus propres à les caractériser, qui est une espèce de procès-verbal écrit jour par jour par des témoins oculaires des faits, et en présence des témoins intéressés de tous les partis, dans lequel enfin les principaux acteurs de la Révolution, dépouillés de cette sorte de toilette que l’histoire donne à ses héros, et représentés par eux-mêmes dans leurs démarches et leurs discours journaliers, ont, pour ainsi dire, broyé de leurs mains la couleur des tableaux dans lesquels ils figurent.

Il ne manquait à ce recueil que d’avoir commencé avec la Révolution ; car s’il peut être utile de ne point négliger dans l’histoire des grands hommes celle de leur enfance, c’est dans l’histoire des révolutions surtout qu’il importe de ne rien omettre de ce qui tend à faire connaître leurs premiers mouvements, leurs causes, les symptômes qui les annoncèrent, et à nous initier, en quelque sorte, dans les mystères de la génération de ces importants phénomènes qui ont en naissant la force de tout détruire. Tel est le motif qui nous a déterminés à donner cette introduction au Moniteur ; et quoiqu’il ne fût question que d’un travail partiel, et dont les éléments sont depuis longtemps connus, il ne portait pas moins avec lui la grande difficulté attachée à l’entreprise de tout écrivain qui voudra, au sein d’une révolution, en tracer l’histoire, cette difficulté que définit un auteur célèbre, lorsqu’il dit « qu’un historien ne doit avoir ni religion ni patrie. »

Certes, nous ne pûmes oublier notre patrie lorsque nous avions à décrire son triomphe. L’esprit essentiel de la religion de tout homme de bien a dû encore moins nous abandonner lorsque nous