Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome I (2e éd).djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée

p. 114

[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

Mais il était trop grand homme pour ne pas voir que la liberté des nations est la source des grandes choses, et qu’un roi n’a de véritable puissance qu’autant qu’il règne sur une nation puissante. 11 méditait de grandes choses, et il préparait la nation à les exécuter.

Enfin, Charlemagne donna toujours l’exemple lui-même du respect dû aux lois, autant parce qu’elles étaient la seule base inébranlable de sa grandeur et de sa puissance, que pour apprendre aux peuples à les respecter (1).

Les faibles successeurs de ce grand prince ne surent pas maintenir les lois et l’ordre politique qu’il avait établi.

Charles le Chauve voulut se rendre maître absolu ; en ne convoquant plus le champ de mai, il crut se reulre législateur ; les grands du royaume, devenus indépendants, ne lui contestèrent pas le droit de commander, parce qu’ils s’étaient arrogé celui de ne pas obéir ; et alors commença de s’établir l’anarchie la plus affreuse sous le nom de gouvernement féodal.

La puissance souveraine fut de tontes parts envahie par les seigneurs ; le plus puissant d’entre eux, Hugues Capet, s’empara du trône et l’on ne connaissait plus déjà en France d’autre lien social que la foi et hommage.

A cette époque, la plupart des seigneurs laïques relevaient encore de la couronne ; mais bientôt ils en devinrent indépendants ; et grand nombre de seigneurs dirent qu’ils ne tenaient leur fief que de Dieu et de leur épée, et soutinrent souvent ce droit contre le roi, les armes à la main.

Chacun s’empara de quelque lief, et les petits se mettaient sous la protection des grands par la foi et hommage.

On appela seigneurie allodiale ou aieu le fief qui ne dépendait de personne, et arrière-fief celui qui rendait foi et hommage à un autre.

Le peuple fut réduit en servitude réelle.

Les seigneurs firent battre monnaie ; ils s’attribuèrent le droit de guerre et de paix ; le droit de faire rendre la justice ; le droit de régale sur les églises de leurs seigneuries ; en un mot, tous les droits de la souveraine puissance.

Les rois de France étaient bien loin de jouir alors de l’exercice de la puissance législative ; aucun lien n’unissait la société, elle n’existait pas. La puissance législative n’avait d’ailleurs aucun moyen de s’exercer ; car chaque seigneur allodial avait sa cour de justice, et tous les procès étaient jugés suivant les coutumes des fiefs, qui tenaient lieu de lois, et par le duel judiciaire.

Les parties avaient le droit de demander le duel pour décider leurs différends, de le demander

(1) Tassillon, duc des Bavarrois. fut condamné à mort par la nation ; il était parent de Cliarlemagn.’, qui ne lui accorda pas la vie.de son autorité privée ; il demanda sa grâce à la nation, et l’obtint.

contre les témoins, et même contre les juges ; d’abord contre le premier qui ouvrait son avis, puis contre le second, et ainsi de suite ; et si elles laissaient rendre un jugement sans demander le duel, elles avaient le droit de le demander contre tous les juges qui avaient rendu ce jugement.

Des hommes aussi barbares que ceux-là ne pouvaient reconnaître aucune loi ni aucune puissance législative.

Ce régime a désolé la France pendant une longue suite de siècles.

Chaque seigneur avait sa cour de justice ; le roi avait aussi la sienne, non comme roi, mais commeseigneur : cependant cetfecour était appelée la cour du roi, et elle est l’origine des parlements.

Les vassaux immédiats de la couronne dépendaient de cette cour ; mais à mesure que l’autorité des rois s’agrandissait, les vassaux des autres seigneurs éludaient les cours de leurs suzerains, H allaient chercher une protection à la cour du roi.

Cependant cette cour du roi se remplit de barons du duché de France ou du comté d’Orléans et les grands vassaux même, qui ne devaient être jugés, suivant les fois féodales, que par leurs pairs, par une inconséquence bien digne de la variabilité de toutes ces lois, ou plutôt coutumes, ne se tirent aucune difficulté de resso. tir a cette cour qui, composée de seigneurs bien moins puissants qu’eux, et attachés au roi, se firent un devoir de dégrader la dignité des premiers fiefs pour devenir eux-mêmes les égaux de ceux qui les possédaient.

La confiance que ces seigneurs avaient dans leurs propres forces les empêcha de s’apercevoir de la forme que prenait le parlement ; sans cela ils n’auraient pas souffert que les barons, qui n’étaient pas pairs du royaume, fussent les juges de la pairie.

Une vanité mal entendue les empêchait encore de se rendre à la cour du roi : ils trouvaient toujours des excuses pour ne pas s’y rendre quand ils étaient convoqués ; et le roi, qui redoutait leur présence, ne manquait pas de trouver ces excuses légitimes.

Les pairs ecclésiastiques s’y rendaient ; et comme ils avaient déjà établi des procédures régulières dans leur manière de rendre la justice, ils portèrent ces mêmes règles à la cour du roi. C’est ainsi que commença à s’établir une sorte de régularité dans l’administration de la justice.

Philippe-Auguste, sacré en 1180, établit l’appel de déni de justice ou de défaut de droit. Il frappa un grand coup contre le gouvernement féodal par cet établissement.

Le roi convoquait le parlement quand il lui plaisait, et il le composait comme il voulait ; il n’y appela que des prélats et des seigneurs dévoués à ses volontés : il faisait autoriser toutes ses mesu-