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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

qu’une politique odieuse peut leur suggérer ; ils sèment la haine, la division dans toutes les classes de la société ; ils soulèvent de petits souverains entre eux, leur mettent. les armes à la main, les laissent consumer leurs forces dans des guerres continuelles, et s’emparent de leurs dépouilles lorsqu’ils ne peuvent plus les défendre ; ils caressent le peuple pour le porter à la révolte contre les grands, qui le tiennent sous l’esclavage de la glèbe ; ils lui offrent des privilèges, des franchises pour l’attirer dans leurs domaines ; ils se servent du clergé pour écraser la noblesse, de la noblesse pour abaisser le clergé ; tour à tour et suivant leurs intérêts, ils se rangent de l’un ou l’autre parti ; ils obtiennent de chacun ce qu’ils désirent ; la moitié de la nation se trouve perpétuellement opposée à l’autre, et elle ne s’aperçoit pas qu’elle combat pour se donner des fers et se mettre sous l’empire absolu d’un chef.

Les rois ont grand soin de masquer leurs desseins, afin de ne pas donner d’ombrage et de n’inspirer aucune crainte. Ils conservent à la nation l’apparence de ses pouvoirs ; ils respectent les anciennes formules, ils assemblent les États, non plus, il est vrai, à des époques déterminées, mais dans les grandes occasions et suivant leurs besoins ; ils ne demandent plus leurs volontés, mais leurs conseils ; ils sollicitent des secours nécessaires qu’ils obtiennent, ils en sollicitent d’inutiles, qu’on n’ose leur refuser ; peu à peu ils ont de l’argent avec lequel il corrompent, des troupes réglées avec lesquelles ils intimident ; ils deviennent redoutables à ceux qui veulent leur résister : chacun tremble de leur déplaire ; leurs désirs deviennent des lois ; ils hasardent des abus d’autorité qui sont reçus avec soumission ; les usurpations se succèdent et passent pour des actes légitimes ; on perd de vue l’origine de leurs pouvoirs ; ils prétendent les tenir de la divinité même, et les prêtres, dans un temps de superstition, ne rougissent pas de consacrer cette maxime insensée ; ils éloignent la nation des affaires, des règnes entiers se passent sans la convoquer ; ils ne la réunissent plus que pour lui demander des subsides ; ils lui permettent de délibérer sur quelques détails d’administration, sur des ordonnances civiles, mais sans s’astreindre à suivre ses arrêtés ; ils la réduisent à ce point d’humiliation, qu’ils ne lui laissent plus la liberté que de présenter de très-humbles remontrances, des suppliques ; pour dégrader les assemblées nationales et les rendre inutiles, ils imaginent des convocations particulières de membres choisis à leur gré dans les différentes provinces du royaume ; enfin, ils forment l’odieux projet d’éteindre à toujours toutes ces assemblées, qui conservaient encore un reste d’énergie et opposaient quelquefois une espèce de résistance à leurs volontés ; ils décorent d’un simulacre de pouvoir des cours de justice

dont ils se flattent de corrompre les membres avec bien plus de facilité : tel était le dernier asile de la liberté française depuis plus d’un siècle et demi !

C’est en parcourant les différents monuments de l’histoire, et en suivant avec les lumières de la raison la chaîne des événements, qu’on peut se faire une juste idée de l’accroissement progressif du pouvoir des rois et du dépérissement lent et graduel des droits de la nation.

Tous les rois de l’Europe ont usurpé le pouvoir législatif sur leurs peuples : les époques de celte usurpation, dans l’histoire de la nation française, ont donné lieu à des recherches savantes. Voici celles qu’indiquent les monuments historiques :

La nation française est sortie des forêts de la Germanie. Les peuples qui les habitaient sont les seuls que les Romains n’aient jamais conquis. C’étaient des peuples ignorants, barbares, mais braves, et défendus par leurs marais, leurs forêts et leurs mœurs : ce n’est pas chez de tels peuples qu’on peut trouver des monuments qui nous apprennent ce qu’ils étaient et sous quelle forme de gouvernement ils vivaient ; mais l’historien romain le plus digne de foi nous a tracé leurs mœurs et leur manière d’être gouvernés ; c’est de Tacite que nous devons l’apprendre .

Selon lui, les Germains n’avaient d’autre propriété que des esclaves et des troupeaux ( il ne fallait pas beaucoup de lois à un tel peuple) : ils étaient tous soldats ; ils se choisissaient un chef, et c’était leur roi : sous sa conduite ils allaient au pillage et se faisaient la guerre entre eux : c’est ainsi que vivaient dans la Germanie une infinité de peuples sous différents noms, sous lesquels ils ont ensuite envahi l’Europe.

Ils se rassemblaient en plein champ, autour de leur roi et de leur chef, pour faire leurs lois, c’estdire, pour délibérer sur les choses importantes à tous. Les princes délibéraient sur les petites choses, la nation sur les choses importantes ; ce qui avait été délibéré par la nation, était aussiporté devant les princes (1).

Les Francs, un de ces peuples germains, passèrent le Rhin, et firent d’abord la conquête d’une partie des Gaules, ensuite de toutes les Gaules.

Ils ne prirent pas les lois des vaincus, que le despotisme des empereurs romains avaient avilis ; ils leur donnèrent les leurs.

Aussi voit-on les Francs assemblés autour de leur chef, en plein champ, faire des lois en commun dès le commencement de cette monarchie qu’ils établissaient dans les Gaules.

Tout Franc ou Gaulois vivant sous la loi salique ou ripuaire avait le droit de se rendre à cette assemblée, et y occupait une place. Quand une

(1) De minoribus principes consultant, de majoribu$ omnes ita tamen ut ea quarum pênes ; plebem arbilrium est, apud principes quoque pertraçtentur.