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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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leur pouvoir, et ils ne se fussent pus repliés sous toutes les formes pour en éluder lu tenue, à l’exemple du curdinul Bfazarin , si le prince n’avait eu qu’à s’y montrer pour voir promulguer ses ordres.

On pourrait accumuler les exemples pour prouver que, depuis l’établissement de lu monarchie française jusqu’à ses dernières périodes, l’opinion Je lu supériorité des Éluts généraux sur le pouvoir des rois s’est maintenue.

Si cette opinion a quelquefois pu tempérer les excès du despotisme, il faut ajouter que ce n’était qu’une bien faible burrière opposée à ce torrent destructeur ; car les rois ne parvenaient-ils pas toujours à éluder celte ombre de la puissance nationale, soit en ne convoquant pas les États, soit en les asservissant à leurs volontés, sinon par la force, du moins par la ruse, la corruption, les dons, les places ? Et, d’ailleurs, la composition même de ces États, où dominaient deux premiers ordres, appuis intéressés du despotisme, ne les rendait-elle pas toujours auxiliaires de l’autorité royale, destinés à donner une garantie légale à leurs usurpations ?

Preuves des usurpations et des progrès successifs du pouvoir royal en France. — État du gouvernement dans les derniers temps de la monarchie.

Nous avons examiné le gouvernement français tel qu’il a été lors de l’établissement des Francs dans les Gaules ; nous l’avons suivi dans ses différentes périodes.

11 est hors de doute que ce qu’on appelait sous Louis XVI la constitution du royaume, présentait peu de rapports avec la constitution des premiers temps de la monarchie.

Le peuple français, dans l’origine, a dû jouir de quelque liberté, et il ne s’est pas d’abord donné un maître absolu. Cette vérité est appuyée sur une preuve infaillible, inaltérable et qui l’emporte sur celle des faits historiques : c’est qu’il est absolument impossible que le chef d’une troupe d’hommes, qui se réunit en société, soit un despote. 11 est choisi parmi ses égaux, et il ne peut entrer dans l’idée de ceux qui l’élisent de lui donner sur eux une autorité illimitée. Ce pouvoir ne peut donc s’accroître qu’à la suite des siècles, par la ruse, par la force et par une multitude de circonstances souvent imperceptibles et qui échappent à l’observation.

Nous n’avons point le contrat fait entre les premiers Francs et leurs chefs, et sans doute il n’eu a jamais existé. Lorsqu’un peuple errant, guerrier et sauvage, se forme en corps, il ne rédige point par écrit les conventions de son association ; ses mœurs, ses usages, ses lois, se conservent longtemps inaltérables, sans qu’aucun titre les atteste. L’art de l’écriture est ignoré, et lors

môme qu’on vient à le connaître, des siècles s’écoulent sans qu’on emploie ses caractères à graver des institutions qui s’observent religieusement. La tradition verbale transmet avec fidélité aux générations futures le petit nombre de maximes sur lesquelles reposent le sort de l’État et le bonheur des peuples. C’est lorsque l’ouvrage de la civilisation s’avance, lorsque les lois se compliquent, lorsque les infractions se multiplient, qu’on pense à prendre des précautions contre la mauvaise foi.

Les mouvements du premier âge des nations sont toujours effacés par le temps, ou détruits par la guerre et tous les fléaux qui renversent les ouvrages fragiles des humains.

Les débris qui nous restent ne remontent pas à une très-haute antiquité ; ils suffisent cependant pour conserver des traces sensibles du genre de liberté première dont jouissait la nation.

Mais en rassemblant ce qui nous est parvenu des Capitulaires, ce que nous connaissons des anciennes assemblées des champs de mars et de mai, ce que nous connaissons des premiers États généraux, et mille traits épars dans notre histoire, il est certain, il est évident que nos rois étaient éligibles, dès lors plus soumis aux volontés de ceux qui étaient libres de les nommer ; qu’ils ne pouvaient rien sans le vœu de la nation, que toutes les lois essentielles étaient faites de son consentement ; qu’ils n’avaient d’autre revenu que celui de leurs domaines ; qu’ils ne pouvaient pas lever par eux-mêmes le moindre impôt ; qu’ils n’avaient point de troupes réglées ; que la nation s’assemblait à des époques fixes ; qu’elle décidait de la paix, de la guerre, de toutes les affaires importantes.

La nation s’est laissé dépouiller insensiblement de tous ses droits, et il ne lui est plus resté qu’une ombre de liberté et un fantôme de puissance. Elle ne songea pas à réunir en corps les principes simples qui servaient de base à sa constitution, à les exprimer dans des articles clairs et précis, et à faire un pacte solennel ; elle ne prit aucune mesure pour en garantir l’observation ; elle fit à ses chefs des concessions imprudentes, dont elle ne prévoyait pas les suites funestes ; elle se divisa en partis, en factions, en ordres, en corps, et la puissance royale, toujours active, profita habilement de ces fautes, et de ces imprudences. Sous prétexte d’éviter les divisions et les guerres que les prétentions à la couronne faisaient naître à la mort des rois, on rendit le royaume héréditaire , ce qui donna une grande facilité aux monarques de tendre au despotisme et de suivre avec confiance la marche qui devait les y conduire.

Aussi les voit-on sans cesse occupés ô envahir tous les pouvoirs particuliers, pour accroître leur domination ; ils ne négligent aucun des moyens