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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

femme de Louis le Débonnaire, ayant poussé à la révolte les enfants de ce prince, il fut rétabli par la nation, qui se convoqua d’elle-même à Nimègue, comme le désirait le monarque qui n’avait pas alors assez de pouvoir pour l’ordonner.

Ainsi, retombé, pour la seconde fois, entre les mains de ses enfants rebelles, déposé, avec le plus grand scandale, à Rosfeld, ce même prince ne trouva la fin de ces persécutions que dans une assemblée du peuple à Saint-Denis, où ce monarque venait d’être transféré par son fils Lothaire.

Ainsi les soupçons de l’inconduite de Richarde, femme de Charles le Gros, la faiblesse d’esprit qu’il fit paraître dans une diète à Tribur, avaient indisposé ses sujets ; ils s’ajournèrent en 888, à Compiègne, où ils élurent Eudes à sa place.

Ainsi, pour forcer Eudes de remettre, comme il l’avait promis, la couronne à Charles le Simple, lorsque ce prince serait en âge de gouverner, la nation s’assembla-t-elle, de son propre mouvement, à Reims, où, le 27 janvier 893, elle fit asseoir ce jeune prince sur le trône de ses pères.

Ainsi l’usurpateur Raoul étant mort, les Français ne suivirent, pour s’assembler, d’autre impulsion que leur attachement à la maison royale, et ils arrêtèrent unanimement d’envoyer au plus tôt en Angleterre offrir, de la part des états, la couronne à Louis d’Outremer, auquel elle appartenait.

Ainsi, Louis V, son fils, étant mort sans enfants, la nation s’assembla à Compiègne pour délibérer sur le droit du duc de Lorraine, lorsque Hugues Capet, ayant avec des troupes, dissipé le parlement, soutint par une perfidie la puissance qu’il s’était fait donner à Noyon.

Ainsi l’édit de Louis XV, du mois de juillet 1717, confirme le droit qu’a la nation de s’assembler d’elle-même, au moins dans le cas particulier que le monarque exprime, qui est celui d’une trahison de sa part.

Ainsi la province de Dauphiné en a-t-elle donné dans les derniers temps un exemple mémorable[1].

Observations particulières sur le pouvoir des anciens États généraux.

Charlemagne, qui, le premier, a substitué les assemblées par représentants aux assemblées par individus, recueillait quelquefois, dans des affaires en suspens, le vœu général et légitime des peuples.

Il ne se bornait pas à faire prendre l’avis des gens en place, des nobles ou des propriétaires ; il voulait qu’on s’adressât à tous ceux encore qui n’avaient pour tout bien que la liberté ; il ne redoutait pas l’influence de la classe la plus misérable, par cela même la plus digne de ses soins.

Charlemagne, en un mot, ne pensait pas avoir satisfait à ses obligations, en consultant tous les individus, mais il exigeait une preuve authentique de l’opinion d’un chacun.

La pluralité des suffrages décidait du sort de la proposition ; et si la signature des riches, comme la marque ou la simple croix des pauvres, placées au bas du projet, l’emportait sur le nombre des opposants, ce projet alors recevait l’indestructible caractère de loi[2].

Telle est la marche qu’en 1788 plusieurs écrivains proposèrent de suivre pour la décision des principales questions qui s’élevaient sur la composition des nouveaux états.

Cet hommage rendu par un roi aux droits du peuple est un trait historique précieux à conserver. Plusieurs autres exemples prouvent que, sous les diverses races, les rois furent fréquemment forcés de respecter également le pouvoir que les États généraux exerçaient au nom du peuple.

Brunehaut proposait à Clotaire II de prononcer sur une question délicate ; voici ce que le roi lui répondit : « Le premier pas à faire est de convoquer la nation, comme la coutume l’ordonne : ce n’est pas une vaine cérémonie que je peux négliger, mais un droit inviolable auquel je ne dérogerai jamais. »

Puis il déclare en ces termes formels « que la nation n’aura pas plutôt parlé, qu’il sera de son devoir, et qu’il s’empressera de se conformer à tout ce qu’elle aura jugé convenable de prescrire. »

Vainement se retranchait-on à prétendre que l’assemblée dont il s’agissait devait être composée seulement de nobles, et qu’ainsi on ne pourrait en tirer une connaissance pleinement satisfaisante.

Où peut mener cet argument, si ce n’est à la plus inviolable preuve du pouvoir des États généraux, qui n’auraient pas eu moins d’autorité que cette assemblée particulière ?

Attribuerait-on au seul comité des nobles un droit de souveraineté que l’on refuserait aux assemblées générales, où ces mêmes nobles se trouvent avec le peuple ?

L’intervention même du peuple, indispensable pour caractériser une assemblée générale, produirait-elle l’effet contradictoire de borner la toute-puissance des États, par cette réunion qui seule la constitue ?

Système absurde, et bien loin de répandre de l’ombrage sur la puissance des États, puissance

  1. Voyez le procès-verbal des États de Dauphiné assemblés d’eux-mêmes le 21 juillet 1788.
  2. Ut populus interrogetur de capitulis quœ in lege noviter addita sunt, et postquam omnes consenserint, suscriptiones vel manufirmationes suas in ipsis capitulit faciant. — Lex salica, Marculphe, liv. Ier, no 40.