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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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Ce sommeil de la liberté publique, et principalement de celle du peuple, fut interrompu par Pépin et Charlemagne, les deux plus célèbres rois de la seconde race.

Ils ne se virent pas plutôt sur le trône, qu’ils crurent devoir réveiller dans le cœur des plus malheureux de leurs sujets cet amour naturel pour la liberté, en leur rouvrant l’entrée des assemblées publiques, d’où leur négligence et l’orgueil des grands les avaient exclus. Leur intérêt les porta à laisser là la puissance des nobles qui leur étaient contraires.

Fidèles à leurs principes, plusieurs de leurs successeurs maintinrent cette prérogative, la plus éminente de toutes, au corps du peuple.

Dans les treizième et quatorzième siècles, il se tint, au lieu d’États généraux, des assemblées solennelles, des placités, des parlements. L’on y décidait les affaires civiles, l’on y statuait sur toutes les matières criminelles.

À l’égard des objets de simple administration ou de police, ils étaient renvoyés par provision au jugement du chef de son conseil.

Ce conseil était d’abord composé de membres que le peuple choisissait, que le temps a fait trouver à nos monarques le moyen de nommer seuls, que les États généraux, dans quelques circonstances, ont remplacés par d’autres.

De cette manière s’est toujours religieusement perpétué jusqu’à nous ce principe fondamental que nous ont transmis les Germains[1].

Répétons qu’il consiste à laisser à la décision du chef et de ceux qui approchent de sa personne tout ce qui ne sort pas de l’ordre commun, et à réserver la connaissance du surplus soit aux assemblées générales, soit aux parlements qui les représentent.

Aussi M. le président de Harlay disait-il au roi Henri III, lors du lit de justice du 15 juin 1586 :

« Nous avons, Sire, deux sortes de lois[2], les unes sont les ordonnances de nos lois, qui peuvent se changer selon la diversité des temps et des affaires ; les autres sont des ordonnances du royaume, qui sont inviolables, par lesquelles vous êtes monté sur le trône, et cette couronne a été conservée par vos prédécesseurs. Entre ces lois publiques, celle-là est une des plus saintes, et laquelle vos prédécesseurs ont religieusement gardée, de ne publier ni loi, ni ordonnance qu’elle ne fût vérifiée en cette compagnie. Ils ont estime que violer cette loi, c’était aussi violer celle par laquelle ils sont rois, et donner occasion à leur peuple de mécroire de leur bonté. »

Du droit de convoquer les États généraux.

Dans les premiers temps de la monarchie, les assemblées nationales, fixées primordialement soit au mois de mars, soit au mois de mai, n’avaient pas fourni l’occasion d’approfondir lequel, du chef choisi par la nation, ou de la nation elle-même, pouvait provoquer la réunion de tous les membres.

Quand Pépin et Charlemagne ont mandé leurs sujets pour les remettre en possession de leur plus beau privilége, ils n’ont pas prétendu, par cet acte de justice, violer la liberté française dans le point le plus essentiel, au moment qu’ils s’occupaient de lui rendre tout son essor.

Mais toutes les fois que les rois ont eu des propositions ou des demandes à faire à la nation, il a fallu qu’ils l’assemblassent, et cette nécessité n’a jamais pu se transformer en un droit exclusif.

Mais à son tour, la nation, qui peut avoir à se plaindre des infractions au contrat primitif, devait jouir de la même faculté pour rétablir l’équilibre et veiller au maintien du parti qu’il lui était libre d’adopter ou de rejeter.

Ainsi Childéric Ier, quatrième roi de la seconde race, ayant attenté à l’honneur du sexe, ses sujets lui ôtèrent l’empire[3], dans une assemblée générale que sans doute ce prince n’avait pas convoquée.

Ainsi, lorsqu’il fut question de donner un successeur à Childéric, les Français de nouveau se réunirent[4] ; et l’on prévoit aisément que le prince, bien loin de consentir à cette assemblée, s’y serait opposé formellement, si cette démarche lui eût été possible.

Ainsi, les Français, révoltés de la barbarie de Gillon, qu’ils venaient d’élever à la place de Childéric, n’attendirent pas ses ordres pour former une troisième diète, se soustraire à sa tyrannie, et rentrer dans l’obéissance de leur ancien roi[5], qu’ils supposèrent corrigé par le temps et les revers.

Ainsi Pépin, maire du palais, c’est-à-dire maître absolu de la nation par la mort de Carloman, son collègue, ne peut-il résister au vœu général des Français qui s’assemblèrent[6] pour placer sur le trône le jeune Childéric III, après un interrègne de près de cinq ans.

Ainsi, les mœurs lâches et efféminées de ce même prince déterminèrent-ils ses sujets, dans une assemblée d’États, où ils se rendirent de leur propre mouvement, à lui ôter la couronne, pour la poser sur la tête de Pépin le Bref.

Ainsi les règlements de l’impératrice Judith,

  1. De minoribus principes cosultant ; de majoribus omnes. Tacit., De Morib. Germ.
  2. Registre du Parlement, 1586.
  3. Childéric se licencie à débaucher les femmes et les filles de ses sujets qui le dégradèrent de la royauté. Mezerai. Hist. de Childéric.
  4. Cependant les Français s’assemblent pour lui donner un successeur. Vely, ibid.
  5. Les Français vont au-devant de lui jusqu’a Bar, et le rétablissent dans la royauté avec des formes solennelles. Mezerai, ibid.
  6. Pépin, à l’instance des seigneurs français qui avaient encore de l’attachement pour la famille royale, mit fin à l’interrègne. Daniel, ibid.