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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

soumettent, on est obéi ; et c’est ce que peut vouloir le plus grand roi du monde : s’ils résistent encore, au retour dans leurs chambres, ou bien on exile les plus mutins et les chefs des factions, ou bien on exile à Pontoise tout le corps du parlement. Alors on suscite contre lui la noblesse ou le clergé, ses ennemis naturels : on fait chanter des chansons ; on fait courir des poésies plaisantes et fugitives, et l’opération dont nous connaissons bien aujourd’hui la marche et les résultats, n’occasionne que des émotions légères qui n’ont aucun grave inconvénient, et le parlement n’en est pas moins exilé pour avoir été désobéissant.

« On prend alors les jeunes conseillers qui dominent dans ce corps, par famine : le besoin qu’ils ont de vivre dans la capitale, l’habitude des plaisirs, l’usage de leurs maîtresses leur commandent impérieusement de revenir à leurs foyers, à leurs femmes entretenues, à leurs véritables épouses : on enregistre donc, on obéit, on revient. Voilà toute la mécanique de ces circonstances ; il serait bien dangereux de la changer.

« À présent Votre Altesse Royale connaît-elle des moyens plus efficaces pour s’opposer aux entreprises d’une assemblée véritablement nationale qui résisterait à ses volontés ? Le monarque pourrait-il dire à la nation comme au parlement : ’Vous n’êtes pas la Nation ? Pourrait-il dire aux représentants de ses sujets : Vous ne les représentez pas ? Un roi de France pourait-il exiler la nation pour se faire obéir, comme il exile ses parlements ? Pourrait-il même faire la guerre à la France en cas de refus de nouveaux impôts ? Le roi est assuré de ses troupes contre le parlement : le serait-il contre la France assemblée ? Où frapperaient donc le soldat, l’officier, le général, sans frapper contre leurs compatriotes, leurs amis, leurs parents ou leurs frères ? N’oublions jamais que le dernier malheur des rois, c’est de ne pas jouir de l’obéissance aveugle du soldat ; que compromettre ce genre d’autorité qui est la seule ressource des rois, c’est s’exposer aux plus grands dangers. C’est là véritablement la partie honteuse des monarques, qu’il ne faut pas montrer, même dans les plus grands maux de l’État.

« Voyez la rage de la nation anglaise presque toujours assemblée en forme d’États généraux contre ses rois : elle les a dévoués à la mort, bannis et détrônés. L’Angleterre était pourtant jadis la nation la plus catholique, la plus superstitieuse et la plus soumise des nations à ses monarques. Ah ! Monseigneur, que votre bon esprit éloigne de la France le projet dangereux de faire des Français un peuple anglais ! »

Le régent se dégoûte de son projet.

Tel était le discours de Dubois au régent, qui changea de dessein en se moquant et du ministre et du mémoire.

Le résultat des efforts de la Nation sous les deux derniers règnes de nos rois fut donc tel que Louis XIV accorda aux ennemis de l’État les conditions les plus dures, plutôt que de consentir à leur demande de convoquer la nation. Dans la suite le régent déclara la guerre à l’Espagne ; il fit emprisonner le duc du Maine et les plus grands de l’État qui en tramaient la convocation, et jeta à la Bastille et au château de Vincennes des seigneurs remarquables qui osèrent en parler.

Tous ces embarras du gouvernement à chaque demande des États rappellent un trait que l’histoire nous a conservé et qui retrace aussi la pusillanimité des chefs de la République romaine, quand on découvrit dans le tombeau de Numa, plusieurs siècles après sa mort, les livres les plus anciens de la religion : la lecture de ces livres devait prouver l’empire usurpé des prêtres sur les esprits, et la crainte d’une comparaison si bien fondée des anciens temps aux modernes fit qu’on ordonna d’en brûler les monuments.

Ces anecdotes expliquent aussi pourquoi les cardinaux de Richelieu, de Mazarin et Dubois, puis encore Lamoignon et Brienne, ont tremblé, ou sont entrés dans des convulsions, quand les Français ont demandé de relire leurs chartes.

DES ANCIENNES ASSEMBLÉES DE LA NATION EN
GÉNÉRAL ET DE LEUR MOTIF.

Pour assurer et dans tous ses points l’exécution du pacte supposé fait par la nation avec son chef, il devenait nécessaire que tous ses membres s’assemblassent, ou à des époques fixes, ce qui s’est longtemps pratiqué parmi nous, ou toutes les fois que les circonstances pouvaient l’exiger, ainsi que l’usage l’a voulu dans la suite.

Depuis la fondation de l’empire français jusqu’à la fin de la première dynastie, nos ancêtres, conformément à cette coutume qui n’avait pas encore reçu d’altération, se réunissaient au moins une fois par an, au mois de mars ou mai, pour délibérer des affaires les plus importantes dans ces nouveaux comices.

Peu à peu, et sur la fin de cette première race, les malheurs publics ayant isolé le prince de ses sujets, ceux-ci, la classe du peuple surtout, presque entièrement asservie, laissèrent tomber en désuétude un droit imprescriptible de sa nature.

À compter de cette époque, qui fut aussi celle de la décadence de la monarchie, les assemblées du champ de mars ou de mai ne furent plus en vigueur.

Durant cet intervalle, il s’en tint beaucoup d’autres que les publicistes ont nommées Colloquia, parlements composés de nobles seuls, qui dédaignaient de s’y trouver avec le peuple réduit par eux en servitude.