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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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ris une sorte d’inquisition pour découvrir les fauteurs de ce projet de patriotisme. Le régent déclara la guerre à l’Espagne : on porta le fer et le feu dans un royaume en faveur duquel Louis XIV avait ruiné la France ; et le duc d’Orléans, avant de conclure la paix avec l’Espagne, demanda qu’Alberoni en fût chassé comme le moteur de tant d’événements.

Au reste, le lecteur reconnaîtra aisément dans les pièces que nous publions sur la conjuration de Cellamare, combien le roi d’Espagne fut trompé par les restes de l’ancienne cour de Louis XIV, qui accusaient le régent de vouloir perdre le jeune roi Louis XV. Ce monarque et le régent se jouèrent beaucoup dans la suite de ce bruit populaire : et le roi conserva toute sa vie une reconnaissance dont il témoignait le sentiment dans toutes les occasions pour le duc d’Orléans, qui avait eu soin de ses plus tendres années. Une preuve que je n’ai pas voulu vous perdre, dit un jour le duc d’Orléans au roi devenu majeur, c’est que Votre Majesté jouit de la santé la plus parfaite.

Le régent se rappelle du bean projet de convoquer la Nation, et quand Law eut désolé la France, il veut assembler les États.

Cependant, lorsque le système de Law eut désolé des milliers de familles, bouleversé les finances, et quand tout fut dans une confusion extrême, le régent se ressouvint du beau projet qui n’avait cesser de l’affecter : il témoigna se rappeler que la France avait montré quelque désir d’obtenir ses anciennes assemblées nationales, que la vieille cour du feu roi avait négociées pendant la cour d’Espagne. Ce prince, toujours porté vers les grandes entreprises, était gagné et entraîné aisément par une idée nouvelle, si elle avait quelque chose de sublime ; et lorsqu’il aperçut le chaos des finances, il fut tenté de livrer la plaie de l’État à l’État lui-même.

Dubois traverse ce grand dessein.

Dubois, qui l’environnait sans cesse, le surprit un jour lisant les mémoires du feu dauphin le duc de Bourgogne sur les États généraux, et lui ôtant soudain ces mémoires, il lui en promit d’autres bien mieux raisonnés sur cette matière. Le régent qui savait au besoin se moquer du ministre et de ses projets, lors même que, par une nonchalance extrême, il les laissait exécuter, laissa répandre quelques copies du mémoire de Dubois, et il est si peu connu et si piquant, que je dois à la vérité de l’histoire de ne pas le laisser perdre pour la postérité.

Raisons de Dubois pour ne pas convoquer les États généraux.

« Ce n’est pas sans raison que les rois de France, dit dans son mémoire l’abbé Dubois, sont parvenus à éviter les assemblées connues sous le nom d’États généraux. Un roi n’est rien sans sujets ; et quoiqu’un monarque en soit le chef, l’idée qu’il tient d’eux tout ce qu’il est et tout ce qu’il possède, l’appareil des députés du peuple, la permission de parler devant le roi, et de lui présenter des cahiers de doléances, ont je ne sais quoi de triste, qu’un grand roi doit toujours éloigner de sa présence.

« Quelle source de désespoir futur pour Votre Altesse Royale, qui peut un jour régner en France (la mort du jeune roi étant dans l’ordre des choses possibles), si elle changeait par une détermination pareille la forme du plus puissant royaume du monde, si elle associait des sujets à la royauté, si elle établissait en France le régime de l’Angleterre !

« L’Espagne, la France, le pape, les états héréditaires de la maison d’Autriche, tous les monarques de l’Europe, excepté ceux qui règnent en Angleterre, en Hongrie, en Pologne, et quelques autres souverains, ont connu les vices résultant du pouvoir partagé. Le pape a lié les mains à ses cardinaux, avec lesquels se terminaient les opérations de son gouvernement. L’Espagne a abaissé les grands et perdu de vue les cortès : le salut de l’État a suivi ces opérations, puisque, dans un empire où deux pouvoirs agissent de concert, on ne voit que troubles et dissensions, tandis que la paix règne dans celui où le pouvoir absolu peut soumettre les passions et les volontés trop hardies qui s’élèvent chaque jour dans un gouvernement.

« Que Votre Altesse Royale réfléchisse un moment sur ce qui se passe en France quand le roi établit une loi ou crée des impôts. La loi, déjà discutée dans son conseil, en émane de la plénitude de son autorité ; il l’envoie à ses parlements pour la faire connaître aux peuples. Quelle force pourrait s’opposer alors à l’exécution de la volonté du roi ? Les parlements ? Ils ne peuvent faire que des remontrances : encore est-ce une grâce qu’ils doivent à Votre Altesse Royale ; le feu roi, extrêmement jaloux de son pouvoir, leur avait sévèrement défendu d’en faire ; et si toutes les remontrances finies, il ne plaît pas au roi de retirer ou de modifier la loi, ils doivent l’enregistrer ; si, au contraire le parlement la refuse encore, le monarque lui envoie des ordres ultérieurs.

« Alors paraissent de nouvelles remontrances qui sentent la faction. Les parlements ne manquent pas de faire entendre qu’ils représentent les peuples, qu’ils sont les soutiens de l’État, les gardiens des lois, les défenseurs de la patrie, avec bien d’autres raisons de cette espèce : à quoi l’autorité répond par ordre d’enregistrer, ajoutant que les officiers du parlement ne sont que des officiers du roi et non les représentants de la France !

« Petit à petit le feu s’allume au parlement, les factions s’y forment et s’agitent. Alors il est d’usage de tenir un lit de justice pour conduire au point qu’il faut messieurs du parlement. S’ils s’y