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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

parlé aux gens du roi en particulier. Les registres du Parlement en feront foi jusqu’à la postérité la plus reculée.

« Les États de Bretagne, légitimement convoqués, ont demandé qu’il leur fût permis de faire rendre compte à un trésorier très-suspect, afin de mettre ordre à l’administration de leurs finances. On leur en a fait un crime d’État. On a fait marcher des troupes comme on les fait marcher contre des rebelles.

« Enfin, Sire, on ne connaît plus de lois. Ces édits qui consacrent encore aujourd’hui la mémoire des rois vos aïeux, ces édits rendus avec tant de sagesse pour conserver la sainteté des mariages et l’état de toutes les familles, on s’en joue ; une lettre de cachet les renverse. Quelles suites une telle conduite ne fait-elle pas envisager ? Que ne fait-elle pas craindre ? Nous ne nous flatterons pas vainement, Sire, en nous persuadant que nous entendrons de votre bouche ces paroles de consolation : Je sens vos maux ; mais quel remède y puis-je apporter ?

« Il est entre les mains de Votre Majesté. Quoique revêtue d’une couronne, elle n’en est pas moins fils de France, et ces droits sont encore mieux établis par le respect et l’attachement des peuples, qu’ils ne le sont par la loi du sang. Comme oncle du roi pupille, qui peut disputer à Votre Majesté le pouvoir de convoquer les États, pour aviser aux moyens de rétablir l’ordre, la tutelle et la régence ? N’appartenait-elle pas de droit à Votre Majesté ? Il n’est pas sans exemple qu’un prince étranger ait été tuteur d’un pupille. Sans sortir hors de chez nous, Baudoin, comte de Flandre, n’a-t-il pas eu l’administration du royaume de France et la tutelle de Philippe Ier, fils de Henri Ier ? Votre Majesté n’aurait pas manqué de raisons, si elle avait voulu attaquer la prétention du duc d’Orléans. Aussi toute la France a-t-elle senti que Votre Majesté, loin de consulter ses droits, n’a envisagé que le repos de l’État, dans la confiance d’une sage administration, et toute la France a reconnu dans cette conduite le cœur d’un véritable père.

« Votre Majesté peut s’assurer, de son côté, que tous les cœurs voleraient au-devant d’elle, quand elle paraîtrait avec sa seule maison. Elle peut compter qu’il n’y a point de citoyen qui ne lui servit de garde. Mais quand on supposera que, pour plus grande sûreté, elle paraîtrait à la tête d’une armée de dix mille hommes, quand on supposera que le duc d’Orléans paraîtra à la tête d’une armée de soixante mille hommes, Votre Majesté peut s’assurer que cette armée sur laquelle il aurait compté, et qui ne servira qu’à le séduire, sera la première à prendre vos ordres.

« Il n’y a pas un officier qui ne gémisse ; il n’y a pas un soldat qui ne sente l’iniquité et la perversité du Gouvernement ; il n’y en a pas un qui ne vous regardât comme son libérateur. Tous s’empresseraient d’aller reconnaître, d’aller admirer en vous le fils de ce prince si cher qui règne toujours dans les cœurs. Que pouvez-vous jamais craindre ou du peuple ou de la noblesse, quand vous viendrez mettre leur fortune en sûreté ? Votre armée est donc toute portée en France, et Votre Majesté peut s’assurer d’y être aussi puissant que fût jamais Louis XIV. Vous aurez la consolation de vous voir accepter d’une commune voix pour administrateur et régent, tel que votre sagesse jugera convenable, ou de voir rétablir avec honneur le testament du feu roi votre auguste aïeul.

« Par là vous verrez, Sire, cette union si nécessaire aux deux couronnes se rétablir d’une manière qui les rendrait l’une et l’autre inébranlables à leurs ennemis. Par là, vous rétablirez le repos d’un peuple qui vous regarde comme son père, et qui ne peut vous être indifférent. Par là, vous préviendrez les malheurs qu’on n’ose seulement envisager, et que l’on vous force de prévoir. Quels reproches Votre Majesté ne se ferait-elle pas elle-même, si ce que nous avons tant de sujet de craindre venait à arriver ?

« Quelles larmes ne verserait-elle pas pour n’avoir point répondu aux vœux de la nation qui se jette à ses pieds, et qui implore son secours ? Nous souhaitons nous tromper, mais l’on nous force à craindre. Du moins nos craintes prouvent notre zèle pour un roi qui nous est cher.

« Si Votre Majesté, dont nous reconnaissons les vues très-supérieures, ne trouve pas à propos de répondre à nos vœux, au moins pourrait-elle se servir de notre requête pour rappeler à lui-même, et pour faire rentrer dans les véritables intérêts de la France un prince qui se laisse aveugler, quoique l’on soit forcé de vous représenter que l’on ne peut s’en rien promettre.

« Le ministre de Votre Majesté, dans cette cour, peut l’assurer que l’on n’avance rien ici qu’il n’ait lu dans tous les cœurs : ainsi Votre Majesté n’a rien à craindre d’une nation qui lui est toute dévouée, et doit tout se promettre de la noblesse française. »

Les plans conçus pour convoquer les États généraux étant découverts, on exile et on emprisonne les chefs. On déclare la guerre à l’Espagne.

Telle était la requête supposée des États généraux au roi Philippe V. Le régent en eut à peine découvert le complot, qu’il chassa l’ambassadeur d’Espagne ; il fit emprisonner le duc et la duchesse du Maine, le duc de Richelieu, le comte de Laval, de la maison de Montmorency, et près de soixante gentilshommes qui avaient offert leurs services pour cette révolution. Le cardinal de Polignac fut exilé ; et il s’établit pendant quelque temps à Pa-