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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

leurs priviléges, de former un conseil de régence, de vérifier et payer la dette nationale contractée par Louis XIV, de rendre à la nation ses droits antiques, et surtout de rétablir en France l’ancienne constitution que le duc de Bourgogne avait exposée dans ses mémoires ; le roi d’Espagne voulait exécuter tout cela pendant la minorité, pour donner à la France la stabilité qu’elle mérite d’obtenir pour tout ce qui concerne l’administration.

Les projets sont éventés.

Alberoni était à la tête de ce projet, qui n’était même qu’une portion de son système général de bouleversement de toute l’Europe. Des princes, des cardinaux, des prélats, des magistrats, des grands seigneurs adoptèrent le plan de restauration de l’État, dont Cellamare, ministre d’Espagne, était le mobile et le fauteur : mais le régent, qui en fut instruit par une fille et par un copiste, fit arrêter à Poitiers l’abbé Porto-Carrero, qui portait en Espagne soixante mémoires sur les moyens d’opérer la révolution.

Voici ceux qui concernaient les États généraux que voulait convoquer le roi d’Espagne. On verra combien le prince et son conseil avaient conservé d’attachement pour la France qui était le berceau de Philippe V.

Manifeste du roi catholique aux États généraux du royaume de France qu’il voulait convoquer.

« Don Philippe, par la grâce de Dieu, roi de Castille, de Léon, etc., à nos très-chers et bien aimés les trois ordres du royaume de France, clergé, noblesse et tiers état, salut.

« Que devons-nous penser du régent, qui, n’étant que dépositaire de l’autorité royale en France, ose s’en prévaloir et se liguer avec les anciens ennemis de nos deux couronnes, sans avoir consulté ni la nation française, ni les parlements du royaume, et sans avoir même donné le temps au conseil de régence d’examiner la matière pour en délibérer mûrement ?

« Il a vu, après la mort du roi très-chrétien notre aïeul, avec quelle tranquillité nous l’avons laissé prendre possession de la régence, pour gouverner le royaume de nos pères, pendant la minorité du roi notre très-cher neveu, sans lui faire le moindre obstacle, et que nous avons toujours persévéré dans le même silence, parce que nous aurions mieux aimé mille fois mourir que de troubler le repos de la France, et d’inquiéter le reste de l’Europe, quoique les lois fondamentales de ce royaume nous en donnent l’administration préférablement à lui[1].

« Nous avons depuis entendu les plaintes qui se faisaient de tous côtés contre son gouvernement, sur la dissipation des finances, l’oppression des peuples, le mépris des lois et des remontrances juridiques. Quoique nous fussions vivement touché de ces désordres, nous avons cru en devoir cacher le déplaisir au fond de notre cœur, et nous ne sortirions pas aujourd’hui de la modération que nous nous étions prescrite, si le duc d’Orléans n’était sorti lui-même de toutes les règles de la justice et de la nature, pour nous opprimer, nous et le roi, notre très-cher neveu.

« En effet, comment pouvoir souffrir plus longtemps des traités où l’honneur de la France et les intérêts du roi son pupille sont sacrifiés, quoique faits au nom de ce jeune prince, dans l’unique vue de lui succéder, et surtout après avoir répandu dans le public des écrits infâmes, qui annoncent sa mort prochaine, et qui tâchent d’insinuer dans les esprits la force des renonciations au-dessous des lois fondamentales ?

« Un procédé si contraire à ce que toutes les lois divines et humaines exigent d’un oncle, d’un tuteur et d’un régent, aurait dû seul exciter notre indignation, par l’intérêt que nous prenons tant au bien de la nation française, qu’à la conservation du roi notre très-cher neveu.

« Mais un sujet qui nous touche encore plus personnellement est l’alliance qu’il vient de signer avec l’archiduc et l’Angleterre, après avoir rejeté l’offre que nous lui faisions de nous unir ensemble.

« Au moins devait-il observer une exacte neutralité, s’il la croyait nécessaire au bien de la France ; mais voulant faire une ligue, n’était-il pas plus raisonnable de se liguer avec son propre sang, que de s’armer contre lui en faveur des ennemis perpétuels de notre maison ?

« Cette indigne préférence ne déclare que trop à tout l’univers son opiniâtreté dans le projet ambitieux dont il est uniquement occupé, dont il veut acheter le succès aux dépens des droits les plus sacrés.

« Ce n’est pas ici le lieu de dire que, par cet acharnement aveugle à suivre des prétentions qui ne lui avaient point été disputées, il compte pour rien de plonger les deux nations dans les derniers malheurs. Nous voulons seulement vous faire entendre que la conduite injurieuse du duc d’Orléans ne diminuera jamais notre sincère affection pour vous.

« Nous ne pouvons oublier que nous avons reçu le jour dans votre sein, que vous nous avez assuré la couronne que nous portons au prix de votre sang. Rien ne sera capable d’éteindre dans notre cœur la tendresse que nous sentons pour notre très-cher neveu votre roi. Et si le duc d’Orléans nous réduit à la cruelle nécessité de défendre nos droits par les armes, contre ses attentats, ce ne sera jamais contre vous que nous les por-

  1. On sait que Philippe V était petit-fils de Louis XIV, et que le régent n’était que son neveu.