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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

trouvées autrefois dans ses plus grandes calamités, si ce n’est l’assemblée de ses États généraux ? Quand le roi Jean était prisonnier en Angleterre, quand les Anglais occupaient plus des trois quarts du royaume, par où Charles le Sage sortit-il de cet abîme affreux ? Comment rétablit-il la gloire et la fortune de sa patrie ? Comment Charles VII reconquit-il sa couronne presque perdue ? N’assemblèrent-ils pas l’un et l’autre leurs États généraux pour se relever ? Les Français s’en souviendront, me dira-t-on ; ils embrasseront avec joie la proposition que nous ferons d’assembler leurs États généraux, et ils nous aideront à y obliger leur roi.

« Si cela est, le nouveau préliminaire, que je n’ai encore regardé que comme injuste et inutile, devient manifestement dangereux pour nous. Il est vrai que Charles V trouva d’abord des factions qui l’embarrassèrent. Charles VII eut longtemps à combattre ses propres sujets ; mais les dangers communs réunirent tous les cœurs, l’esprit français se réveilla ; l’amour de la patrie se réchauffa ; le courage de la nation se ranima, et les ennemis de la France eurent le temps de connaître que rien n’est plus dangereux pour des vainqueurs que de vouloir trop pousser des victoires inespérées.

« Pouvons-nous nous promettre un événement plus heureux des États généraux qu’on nous conseille de demander ? Les Français assemblés connaîtraient les forces et les dangers de leur monarchie. Ils aiment cette monarchie, et le nom et le sang de leurs rois. Espérons-nous de détruire en eux des sentiments aussi forts que la nature ? Ils seront instruits des conditions auxquelles nous voulons donner la paix. Ne nous flattons pas. Ils les trouveront dures et odieuses, et ils nous disputeront peut-être ce que leur roi nous a déjà accordé. L’exemple n’en serait pas nouveau. Les notables de France assemblés refusèrent de souscrire au traité de Madrid, et ils rejetèrent les conditions que François Ier avait acceptées.

« Qui ne sait d’ailleurs que les préventions des peuples sont invincibles ? Leurs erreurs même leur sont chères. On leur arracherait plutôt la vie que de certains usages qu’ils ont reçus, ou d’une ancienne constitution, ou d’une longue coutume. Ainsi, quoique nos premiers ancêtres eussent commencé à oublier leur férocité, et qu’ils vécussent assez tranquillement sous le joug de Rome, ils se révoltèrent, et ils devinrent plus indomptables, lorsque Varus entreprit de les policer. Il voulut introduire parmi eux la discipline romaine, abolir la barbare manière de vider les procès par les armes, et établir la forme judiciaire des tribunaux de Rome. Les Germains défendirent mieux leurs dérèglements qu’ils n’avaient fait leur liberté, et les Français défendraient mieux leur servitude, pour parler comme l’Anglais, qu’il n’ont su défendre leur patrie. Le restaurateur anglais trouverait peut-être chez eux la même destinée funeste que le législateur romain eut chez nos pères.

« Je conviens avec lui que, si on veut se confirmer dans la résolution de faire longtemps la guerre, et de refuser une paix équitable qui se présente, il ne faut pas jeter les yeux sur le malheur du roi de Suède : il vaut mieux considérer la fin heureuse de cette guerre de soixante ans, qui a procuré la liberté aux Hollandais. Mais ne conviendra-t-il point avec moi que c’est peut-être quelque exemple semblable d’une guerre constamment poursuivie et d’une paix équitable et heureusement refusée, qui a engagé le roi de Suède trop avant ? Peut-être que ce prince, que sa vertu rend digne des plus grandes destinées, a trop considéré l’exemple d’Alexandre et de Darius ; et il n’a peut-être pas fait assez d’attention sur l’inconstance de la fortune, qui préside au succès des armes, et qui se plaît souvent à trahir le courage et la prudence.

« Les autres réflexions de l’Anglais sont encore moins sensées. Quelques-unes me semblent même imcompréhensibles. Telles sont les frayeurs qu’encore à présent il veut que toute l’Europe prenne des desseins immenses qu’il assure que la France couve toujours. Elle fera un de ses princes roi des Romains ou empereur ; elle envahira l’Angleterre ; elle subjuguera la Hollande ; elle exterminera toutes les puissances qui ne professent pas la religion romaine ; elle ne pardonnera pas même à celles qui la professent et qui se sont alliées avec les hérétiques. Quand on est assez heureux pour avoir des songes si extravagants, comment est-on assez ennemi de son propre bonheur pour les raconter ?

« Que dites-vous de la fable des brebis que l’Anglais applique avec tant de justesse à la France ? Strasbourg, Brissac, Luxembourg, Namur, Charleroi, Ypres, cédés, tous les Pays-Bas espagnols évacués, et Dunkerque démoli, seront apparemment les louveteaux qu’elle donnera en otage, qui croîtront et qui dévoreront l’Allemagne, l’Angleterre et la Hollande, timides et innocentes brebis ! Cette comparaison ne vous paraît-elle pas heureuse et bien fondée ? Elle est digne du cerveau qui a enfanté tant de belles idées qu’heureusement pour les lecteurs il a renfermées en deux lettres fort courtes.

« Mais en vérité, permettez-moi de le dire, il est indigne de nous de souffrir à toutes sortes de gens obscurs et sans aveu, comme nous le faisons, cette licence effrénée d’écrire injurieusement contre les Français et contre leur roi, dans le temps même que nous travaillons à nous réconcilier avec lui. N’est-ce-pas au contraire dans cette occasion que nous devrions nous souvenir du conseil de notre illustre Grotius : Sollicite