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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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lois à l’Angleterre, comme le titre de son Code en fait foi : Ce sont les leis et les custumes que li reis William grantut à tut le peuple de Engleterre après le conquest de la terre.

« On a vu quelquefois aussi des princes chrétiens porter leurs armes chez les peuples idolâtres, pour les obliger à recevoir le baptême. Charlemagne n’imposait point d’autres conditions aux Saxons tant de fois révoltés. Le zèle de la religion rendait juste et beau ce que l’équité naturelle toute seule eût fait trouver odieux et insensé.

« On n’a jamais vu des peuples faire une longue et cruelle guerre, se réduire tous à un besoin égal d’un accommodement, et vouloir imposer comme une condition de paix, à leurs ennemis non encore désarmés, de changer ou de réformer leur gouvernement intérieur, d’en prendre un nouveau, ou d’en rétablir un ancien.

« Le gouvernement qu’on leur veut ôter fait peur à leurs voisins, dira-t-on : c’est une épée entre les mains d’un furieux qui en abuse : tous les hommes ont un droit naturel et acquis de la lui arracher. Si on reçoit cet admirable principe, où nous conduira-t-il ? À faire de l’Europe une horrible arène de gladiateurs, qui ne cesseront jamais de combattre et de verser du sang.

« Quand les Anglais se sont baignés dans le sang de leurs rois, quand ils les ont détrônés ou décapités, quand ils les ont emprisonnés ou bannis, quand ils ont fait frémir tous les peuples à la vue des sanglantes tragédies de la Rose rouge et de la Rose blanche, et à l’aspect de tant d’autres catastrophes plus nouvelles et non moins barbares ; quand toutes ces révolutions ont été approuvées ou ordonnées par les décrets des parlements, leur a-t-on dit que l’autorité des parlements était une épée entre les mains d’un peuple furieux, et que tous les hommes avaient un droit naturel et acquis de la lui arracher ? Les peuples voisins sont-ils venus fondre en Angleterre pour détruire cette liberté funeste aux Anglais mêmes, et odieuse à toutes les autres nations ?

Si les Français, plus sages et plus heureux, ont reconnu le pernicieux effet de cette épée entre les mains du peuple, et si, pour être plus tranquilles chez eux, ils l’ont rendue à leurs souverains, quelle justice y a-t-il que nous entreprenions de les obliger, malgré eux, à la reprendre ? Est-ce afin qu’ils se massacrent et qu’ils s’égorgent entre eux comme les Anglais, et que leurs désastres fassent notre sûreté ? Quelles lois divines ou humaines autorisent une si détestable politique ?

« Quand il y aurait de la justice, quel fruit espérons-nous d’en tirer ? Jugeons-nous du caractère des Français par celui des Anglais ? Les Anglais aiment quelquefois leurs rois, mais ils haïssent toujours la royauté, et cette haine les porte aisément à haïr aussi le roi. Les Français se plaignent quelquefois de ceux qui règnent, mais ils aiment toujours le trône, et cet amour de la souveraineté les réconcilie toujours avec le souverain. Nous n’avons qu’à lire leur histoire pour nous convaincre de cette vérité.

« Combien de fois les Anglais se sont-ils repentis d’avoir réduit les rois de France à n’avoir plus de ressources que dans l’affection de leurs sujets ? Cette affection n’a point de bornes, surtout quand les rois sont malheureux. Tel est le génie des Français : capables de murmurer contre leurs priuces dans la prospérité, inviolablement attachés à eux quand ils craignent de les perdre, et toujours prêts à rentrer dans le devoir quand ils aperçoivent que l’étranger va profiter de leurs fautes. Interrogez les Allemands et les Espagnols que des révoltes ont quelquefois appelés en France ; comment en sont-ils sortis ?

« Où sont les factions que notre ami de Londres a vues en France ? Où sont les princes du sang et les hommes illustres qui, entraînés par une ambition aveugle, s’opposeraient aux volontés du roi dans une assemblée d’États généraux ? Croit-il qu’il n’y a qu’à mettre les Français ensemble, et qu’à leur montrer leurs forces, pour voir encore les États de Blois ? Il s’abuse : plus de trente ans de troubles et de séditions avaient préparé ce malheureux spectacle ; plus de quarante ans d’obéissance ont mis d’autres dispositions dans les esprits, et donneraient un spectacle tout différent.

« Peut-être que jamais le roi de France ne nous aurait paru si grand ni si redoutable. Quoi qu’en dise notre Anglais, que je ne crois pas aussi bien informé des affaires de France qu’il le veut paraître, il y a apparence que, princes, grands, clergé, parlement, noblesse et peuple, tous concourraient unanimement à faire éclater leur zèle pour leur roi, et ils lui offriraient des secours que peut-être il n’ose pas leur demander. Ne nous souvenons-nous point avec quel empressement l’année passée chacun courait se faire inscrire sur la liste de ceux qui donnaient leur vaisselle pour les besoins de l’État ? C’était une espèce de bel air que tout le monde prenait avec cette ardeur que les Français ont pour leurs modes.

« Presque toutes les fortunes particulières dépendent de celle de l’autorité royale ; les gages, les pensions, les prêts immenses, les arrérages des rentes y sont attachés ; si elle chancelle, toutes ces sortes de biens, qui font plus des trois quarts de ceux de tous les autres biens, sont en danger de périr. Les Français le savent mieux que nous, et cette autorité leur paraît si nécessaire, qu’ils s’encourageraient réciproquement à la soutenir, et qu’ensemble ils seraient plus obéissants encore et plus dévoués qu’ils ne le sont séparément.

« Ils ont oublié qu’il y a eu des États généraux dans leur monarchie, et il y aurait de l’imprudence de les en faire souvenir.

« Quelles ressources, en effet, la France a-t-elle