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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

mots sur les États généraux dont on avait alors perdu également toute idée. Ces légères notions sont nécessaires à l’intelligence du mémoire que fit publier le Gouvernement.

Situation des esprits sons Louis XIV, relativement
au droit pnblic.

Les droits de la nation et les prérogatives du roi n’étaient pas du tout connus dans les derniers temps du règne de Louis XIV : pour trouver une époque remarquable où ils aient été exercés avec harmonie, il faut remonter jusqu’à Charlemagne, qui sut joindre le pouvoir militaire à cette sorte de gouvernement mixte, où les rois et les peuples agissent de concert dans l’exercice de la puissance. Depuis le règne de ce grand monarque, on a tenu cependant en France des assemblées nationales ; mais on ne les connaissait guère sous le règne de Louis XIV que par l’ordre chronologique de leurs dates, ou par le nom du lieu où elles ont été convoquées, ou enfin par les noms des souverains qui les ont accordées.

Embarras de la cour de France sur cette proposition.

Les ennemis de la France ne pouvaient donc plus sensiblement affliger le monarque si jaloux de son autorité, qu’eu essayant de l’associer à celle des États, et en répandant que leur convocation devait être la première démarche pour obtenir la paix. Le roi et madame de Maintenon et tout le parti en furent consternés. On craignait avec raison que la France, aussi désolée du long fléau de la guerre que le reste de l’Europe, ne goutât cette idée si hardie et si neuve de convoquer les États généraux, qu’on pouvait même qualifier d’étrange.

D’ailleurs, Louis, dans son jeune âge, avait été témoin et se rappelait encore la joie extraordinaire des esprits, lorsque la régente, sa mère, fut forcée de promettre les États généraux ; et comme le cardinal Mazarin qui redoutait tant les pouvoirs des corps, et n’en voulait qu’un seul en France (selon les instructions de Richelieu, qu’il suivait ponctuellement), sut éluder adroitement cette grande assemblée, Louis XIV, son élève, persista toute sa vie, avec la plus grande fermeté, à rejeter toute ouverture qui demanderait une telle assemblée, et fit donc répondre par d’autres mémoires clandestins aux mémoires des Anglais et des Hollandais qui avaient osé faire la demande.

Réponse du gouvernement français au mémoire des ennemis.

Déjà ceux-ci avaient publié, pour mortifier le roi, qu’il fallait l’accuser devant ses propres sujets, et traiter conjointement avec la nation de la paix future, et des moyens de la rendre durable. Voici le mémoire que leur fit répondre le Gouvernement, sous le titre de : Lettres en réponse d’un ami de la Haye à son ami de Londres, sur la nécessité de convoquer en France les États généraux, ouvrage manuscrit que tous les curieux voulurent avoir, et dont voici le texte tiré des mémoires particuliers de ce temps-là :

« Le politique anglais, dit le mémoire français, assure que tant que le pouvoir despotique régnera en France, on aura beau ôter à la France des villes ou des provinces, on n’ôtera point à ses rois les moyens ni l’envie de troubler toujours l’Europe, parce que le pouvoir despotique est la source de l’ambition, et que l’ambition est la source des guerres. De ce principe qu’il avance comme indubitable, il conclut que le seul préliminaire qui puisse conduire à une paix sûre est d’obliger le roi de France à rétablir dans son royaume l’usage et l’autorité des États généraux.

« Est-ce donc que le gouvernement despotique est le seul qui inspire l’ambition ? N’a-t-on point vu des républiques même plus ambitieuses et plus conquérantes que les monarchies ? Ne cherchons point d’exemples dans les siécles ni dans les pays trop éloignés. L’ambition n’a-t-elle jamais présidé aux parlements d’Angleterre ? L’ambition de ces parlements n’a-t-elle jamais inquiété la France ? Qui sont les rois d’Angleterre qui ont été les plus redoutables aux étrangers ? Sont-ce ceux qui ont voulu exercer le pouvoir despotique, ou ceux qui ont agi de concert en tout avec le parlement ?

« L’autorité, quelque absolue qu’elle soit, ne portera jamais les peuples aux mêmes efforts où l’art de séduire leur inclination est capable de les porter ; et cet art est plus commun dans les gouvernements mixtes, parce qu’il y est plus nécessaire que dans les gouvernements qui sont absolument monarchiques. La violence s’épuise, et elle trouve enfin des obstacles qu’elle ne saurait vaincre. Il n’y a que l’amour dont les ressources sont infinies et ne tarissent jamais.

« Si le gouvernement d’Angleterre n’est pas moins ambitieux que le despotique, comme l’histoire nous l’apprend, et s’il trouve encore de plus longues et de plus constantes ressources dans les grandes entreprises, comme nos victoires sur la France nous l’enseignent, pourquoi le vouIons-nous donner à nos ennemis ? N’y a-t-il pas déjà assez de difficultés dans la négociation de la paix nécessaire à tout le monde ? Pourquoi cherchons-nous à y en jeter une nouvelle aussi injuste qu’inutile, et périlleuse même pour nous ?

« On a vu des vainqueurs s’accommoder quelquefois du gouvernement des peuples vaincus, et quelquefois leur en donner un nouveau. Les Français adoptèrent la plupart des lois et des coutumes qu’ils trouvèrent établies dans les Gaules. Guillaume le Conquérant imposa de nouvelles