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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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avant de se rendre aux vœux de tant de mécontents ; mais elle fut enfin obligé de les convoquer. Le gouvernement manda pour cet objet des lettres de convocation à tous baillis et sénéchaux du royaume, pour qu’on s’assemblât à Tours : il fut tenu dans l’Anjou, dans le pays de Chartrain et ailleurs des assemblées provinciales pour députer aux États généraux ; mais tous ces mouvements, toutes ces lettres de convocation furent bien inutiles ; car lorsque la noblesse qui insistait sur la nécessité de l’assemblée se fut séparée, l’assemblée générale bien promise et déjà convoquée n’eut pas lieu.

La clandestinité des opérations, qui fut la base du ministère, a conduit la France dans l’état déplorable où elle se trouve.

Louis XIV, dont la clandestinité dans les affaires fut une des maximes, et qui eut soin pendant un si long règne d’étouffer toutes les plaintes sur les affaires publiques, relatives surtout aux droits de la nation, était bien éloigné de tenir les États. On n’en proféra pas même le nom pendant tout son règne, et quand on en parlait en société, c’était avec la précaution que demandent les affaires secrètes ou dangereuses. On avait oublié jusqu’au nom même d’États généraux.

Mézeray, trop véridique pour le temps, avait voulu traiter des droits de la nation dans l’établissement des impôts ; témérité que Colbert sut bien châtier en lui ôtant sa pension. Les ennemis du roi voulurent aussi, comme on le verra, mortifier le monarque en publiant que l’Europe ne parviendrait jamais à réprimer l’ambition du roi de France, si on ne réprimait son pouvoir, et Louis XIV éluda encore cette assemblée ; aussi quand on demanda, pendant la minorité de Louis XV d’assembler les États généraux, le duc d’Orléans ne manqua point de publier que, demander cette assemblée nationale, c’était désoler le royaume, soulever la France contre la France, ménager des rebelles dans tous les ordres de l’État, et souffler la guerre civile dans le sein de nos provinces.

C’était pourtant le roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, qui sollicitait cette assemblée : il voulait réprimer les premiers abus du système odieux de Law, vérifier la dette nationale, sauver l’État et la fortune des particuliers ; mais Dubois maîtrisa le duc d’Orléans, et une déclaration de guerre fut la réponse au vœu du roi d’Espagne.

Ainsi l’histoire des derniers temps de la monarchie française présente de longues périodes où le secret paraît être la grande ressource des rois dans leurs opérations, et la publicité, une faute dangereuse qui peut porter préjudice à la tranquillité du gouvernement.

L’une et l’autre conduite peuvent sans doute arriver au but ; mais la publicité dans les affaires d’État a je ne sais quoi de si grand et de si loyal, qu’elle est digne d’un grand empire : elle diminue les crimes d’État ; elle attire la confiance des peuples, elle force l’homme public à se conduire avec droiture dans ses opérations. Les travaux clandestins du ministère nous ont précipités, au contraire, dans les calamités les plus déplorables. C’est la clandestinité de l’état des finances sous Louis XIV, et la volonté personnelle du roi, qui craignait toute la vie les remontrances, qui foulèrent les peuples à la fin de son règne d’un fardeau intolérable. C’est la clandestinité du système, qui empêcha la nation de réprimer le régent conduit si aveuglément par Dubois et par Law. C’est enfin la clandestinité de quelques ministres, qui, sous Louis XVI, a ruiné la France pendant une administration de quelques années.

Les ennemis de Louis XIV demandent, pour préliminaires de la paix, qui fut conclue à Utrecht, que le roi assemble la nation pour la sûreté du traité. Ils publient nn mémoire pour obtenir les États.

Revenons au siècle de Louis XIV. Quand son ambition insatiable de victoires et de conquêtes lui eut attiré la haine de toute l’Europe, et lorsque la France, écrasée d’impôts, dépeuplée et sans considération chez l’étranger, fut réduite à demander la paix à ses ennemis pendant la guerre de la succession d’Espagne, il s’ouvrit dans les conférences une opinion pour forcer le roi à convoquer les États généraux pour traiter de la paix avec eux.

Les ennemis du monarque, toujours contents s’ils pouvaient l’humilier jusque dans le sein de la France et au milieu de ses sujets, publiaient déjà des écrits sur la nécessité de convoquer en France ces États généraux pour y réprimer, en présence de la nation, l’ambition guerrière du roi. « Le pouvoir despotique, disaient-ils, est la source des guerres interminables de la France, et tant que le roi sera le maître absolu de la volonté de ses sujets, il sera insatiable de conquêtes et de victoires : mille revers ne l’étonneront pas. » De là ils concluaient qu’une assemblée nationale était nécessaire en France pour contenir le pouvoir arbitraire du roi, et le forcer à consentir à la paix : ils disaient même qu’il ne fallait poser les armes que toute la France ne fût assemblée pour traiter avec elle.

Le roi qui connut les mémoires clandestins qui parurent sur cet objet, et qui n’ignorait pas les murmures des peuples opprimés par tant de fléaux, fit répondre sur-le-champ à ces écrits qui pouvaient donner l’éveil aux esprits sur des objets d’une aussi grande conséquence. La génération présente a perdu de vue ces mémoires ; mais je dois les rappeler ici, parce qu’ils sont le vrai portrait de la situation des esprits de ce temps-là relativement à l’autorité civile. Je dirai aussi deux