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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

à soutenir les dépenses extraordinaires, qui peu à peu furent grandement accrues.

« Le roi, désirant que les grands se ressentissent de ses munificences, aussi bien que les petits, tripla les pensions de tous les princes, donnant à M. le prince de Condé trois cent mille livres de pension ; à MM. les prince de Conti et comte de Soissons, chacun deux cent mille livres, aux autres princes, chacun cent mille livres. Le ducs, pairs et officiers de la couronne reçurent leur part de ces bienfaits, et n’y eut seigneur à la cour qui ne s’en ressentît, ces gratifications mêmes s’étendant jusqu’aux provinces les plus éloignés, où les gentilshommes qualifiés en étaient participants.

« De sorte que cette augmentation de dépense composait une somme d’environ quatre millions de livres, laquelle, jointe à la diminution faite au peuple, fit manquer le fonds annuel de la recette de six à sept millions de livres ; et sans les retranchements que le roi et la reine firent sur eux-mêmes, il eût fallu rétablir ce que Leurs Majestés avaient donné aux provinces pour leur soulagement, et diminuer les libéralités que recevaient les grands, les seigneurs gentilshommes du royaume.

« Néanmoins la guerre que l’on pensait lors éviter par cette munificence, ne laissa de troubler grièvement l’État (l’ambition des hommes ou leur avarice l’ayant ainsi voulu) ; et elle s’alluma de telle sorte en tous les endroits de la France, et avec telle violence, que les lois furent foulées aux pieds ; il n’y eut rien de sacré qui ne fût méprisé et pollué.

« En ce désordre, les dépenses qui n’avaient excédé vingt millions de livres montèrent jusqu’à cinquante millions ; ce qu’il n’a été possible de soutenir que par des voies extraordinaires, qui n’ont pu néanmoins être justement blâmées, tant parce qu’elles ont été causées par la nécessité, que pour avoir été puisées dans le domaine du roi que Sa Majesté a voulu être engagé, et les deniers en provenant, employés à réparer les calamités publiques, plutôt que d’interrompre le cours de ses bonnes intentions.

« Que si d’ailleurs il est venu à l’épargne quelques sommes d’argent, ça été par des créations d’offices, dont les gages, droits et fonctions se font à ses dépens ; et les droits des acquéreurs de ces offices sont si bien conservés, que, s’il y a pour un teston de non-valeur, il est porté sur la partie de l’épargne, quelque petite qu’elle puisse être.

« Or, si le revenu du domaine est tiré à néant, les tailles qui se montent tous les ans à près de dix-neuf millions de livres, ne sont pas beaucoup plus utiles au roi, puisqu’il n’en revient à l’épargne que six millions, qui passent par les mains de vingt-deux mille collecteurs et qui les portent à cent soixante receveurs des tailles, qui les remettent à vingt et un receveurs généraux pour les voiturer à l’épargne. Et ces deniers des tailles sont tirés de l’épargne pour être distribués aux trésoriers de l’extraordinaire de la guerre ou des maisons, suivant qu’ils sont destinés, lesquels en baillent la moindre partie à ceux qui les doivent recevoir d’eux ; car avant que les officiers par les mains desquelles passent ces deniers, aient pris leurs gages, taxations, droits, ports et voitures, il se trouve enfin que ces sommes reviennent à peu de chose.

« Quant aux gabelles, la ferme générale est de sept millions quatre cent tant de mille livres, les frais des fermiers rabattus, qui reviennent à deux millions de livres ; et de sept millions quatre cent mille livres, il y en a six millions trois cent mille livres d’aliénés ; si bien que le roi n’en retire que onze cent mille livres, qui ont été affectées l’année dernière et celle-ci, au payement des rentes de la ville, dont Feydeau était demeuré en arrière.

« Le roi a souffert une semblable perte aux rentes des aides, et par ainsi il porte seul la folle enchère des banqueroutes, et paye pour tout le monde, quelque nécessité qu’il ait en ses affaires.

« La ferme des aides porte près de deux millions de livres de charges ; les deux tiers du revenu de toutes les autres fermes peuvent à peine suffire pour en acquitter les charges.

« L’on voit donc comment la bonté de Leurs Majestés a conservé les effets de leur première libéralité, et qu’à leur dommage les feux de leurs sujets rebelles ont été amortis, la paix rétablie dans le royaume et toutes choses remises dans leur ordre.

« Sa Majesté ne s’est pas contentée de dissiper les factions nouvelles aux dépens du revenu de sa couronne ; mais a exposé sa personne aux hasards de la guerre, jusqu’aux coups de main, aux injures de l’air et maladies contagieuses, dont Dieu seul l’a garanti ; et après tant de maux soufferts, ses sujets vivent sous son obéissance en douceur, accommodés de toutes choses, lui étant plein de nécessités. Ce sont les marques de sa bienveillance, qui n’a autre but que de soulager son peuple, bien faire sa noblesse, augmenter les droits et gages des compagnies souveraines, et de continuer ses libéralités aux princes de son sang, et ceux qui sont près de sa personne.

« L’on peut voir par là que les biens que le roi a faits à tous, sont cause des incommodités qu’il souffre ; ce qui ne serait, s’il ne le voulait, puisque c’est par son autorité que nous jouissons du repos, que nous goûtons la vie, et que Sa Majesté, pouvant se donner un pareil contentement, ne se plaît qu’à vivre en continuel souci pour notre conservation.

« En ce chaos d’affaires, il désire avoir vos avis