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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]


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tent à trente, voire à quarante millions de livres. Que si on veut entrer en la connaissance du détail, ils renvoient à des supérieurs et chefs de charges, desquels la naissance et autorité sont si grandes, qu’ils nous ferment la bouche, et nous disent qu’ils ne rendent compte à personne qu’au roi.

« C’est ce qui a bouleversé l’ordre des finances, par lequel on pouvait connaître la vérité de recettes et dépenses. Aussi a ce été la cause que ceux qui m’ont précédé ont été tellement emportés par les grandes dépenses que la grande quantité d’armées a engendrées, et ont trouvé leur courant si déplacé, que, quelque affection qu’ils y aient eu de remettre les choses en leur ordre, ils ne l’ont pu, bien qu’ils aient vaqué avec toute sorte de soin et d’intégrité au devoir de leur charge ; mais les moyens de soutenir ces excessives dépenses leur manquant tout à fait, et étant toujours en peine de chercher de nouveaux fonds pour les supporter, il ne s’est point fait d’état du roi, où toutes les dépenses doivent être contenues des dernières années ; d’où est provenue la disette que l’État souffre présentement, qui manque à toutes occasions de moyens pour supporter la sixième partie des dépenses du royaume, lesquelles sont toutes proposées nécessaires et demandées comme justes ; et si elles sont différées ou refusées, le surintendant seul en reçoit le blâme, et passe pour condamné.

« Il est comme le pilote qui regarde les vents et la mer conjurer ensemble contre son vaisseau, et apporte ce qu’il a de prévoyance pour y remédier : de même est-il seul à se défendre contre tous venants qui s’accordent pour l’attaquer, fait ce qu’il peut pour les contenter ; et n’ayant moyen de leur donner satisfaction, pour ce qu’il ne lui est possible d’accommoder une affaire qu’il ne soit forcé d’en blesser une autre, il est contraint de les laisser plaindre et donner cours à leur douleur. Ainsi n’y ayant point de règles dans l’épargne, toutes choses qui en dépendent tombent en confusion.

« J’appelle à témoin de mon dire la chambre des comptes, s’il n’est pas véritable qu’elle s’est trouvée en ce point de ne pouvoir examiner et clore les comptes, faute que ceux de l’épargne n’avaient point été arrêtés.

« M. le procureur général en ladite chambre ci-présent vous assurera qu’il m’est venu dire de leur part qu’ils ne pouvaient faire leurs fonctions, que les comptables qui y portent les deniers de leurs charges, ou y prennent les assignations, n’eussent fait de même ; d’autant que les recettes de tant d’autres accumulées formaient de si grandes confusions, et favorisaient si fort les divertissements, qu’il n’était possible de discerner les vraies recettes et dépenses avec les vraisemblables. J’ajouterai que cela donna sujet à la chambre de députer deux maîtres de chaque bureau pour m’en faire plainte ; et peu de temps après, elle donna un arrêt célèbre contre tout comptable à même fin qui contient ce que je dis.

« Voilà l’état auquel est la France à présent, qui a besoin de puissants remèdes pour la remettre en vigueur, les faibles ou palliatifs lui étant inutiles. C’est avec douleur que je découvre les nécessités qui sont en ce royaume ; non que je redoute que nos voisins en puissent tirer de l’avantage, parce qu’ils sont encore en plus mauvais état ; mais d’autant que cette grande nécessité était à compassion des bons Français qui aiment leur patrie, et pourtant ces maux ne sont si extrêmes qu’on ne les puisse réparer et rendre à la France sa première splendeur.

« Le moyen d’y parvenir est que tous les états des finances soient formés à l’avenir sur le modèle de l’an 1608, et que dans la recette nous laissions une somme suffisante pour remplacer les non-valeurs et les pertes inopinées que nous supportons ; parce que, si nous nous contentons d’égaler la dépense à la recette, il est indubitable qu’au lieu de guérir nos désordres, nous les accroîtrons.

« Ce n’est pas que je veuille blâmer le temps auquel le bon ordre que nous désirons aux affaires a fini ; car une sainte intention en a été la cause. La reine, mère du roi, leur régente, fut persuadée de prier le roi de tourner le ménage qui se faisait aux finances en libéralité, afin que les affections des peuples, dues à leur roi, lui fussent conservées entières, malgré les pernicieuses pratiques qui se faisaient au contraire.

« Ce salutaire conseil fit telle impression aux cœurs de Leurs Majestés, qu’elles remirent au peuple trois millions de livres, tant de ce que portait auparavant le brevet de la taille, que des impositions des fermes. Le sel, qu’on avait proposé d’établir par édit dans les provinces qui en sont libres, n’eut point lieu, comme il se voit par la révocation des offices créés aux greniers à sel d’Auvergne, qui étaient déjà vendus à un nommé Blancheteau, lesquels furent au même instant remboursés et supprimés.

« La douane de Valence fut ôtée, et la Provence, le Languedoc et le Dauphiné soulagés ; on diminua plus du tiers de l’imposition du convoi de Bordeaux, et la moitié de celle de Charente, autant sur celles de la rivière de Loire et des autres.

« On remit plus de la moitié des subventions aux grandes villes, lesquelles depuis n’en ont quasi rien payé ; le prix du sel fut diminué de cinquante sous par minot en la ferme des gabelles de France, et en celui de la ferme du Lyonnais, de cinquante-trois sous ; ce qui revenait alors, sur le pied des ventes, à plus de 1 500 livres.

« Toutes lesquelles diminutions affaiblirent d’autant la recette, et ôtèrent le fonds qui servait