Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome I (2e éd).djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

p. 89

excédé de plus de 5 à 6 millions de livres, les états faits par estimation au commencement des années.

« C’est chose qui consiste en fait, à quoi l’on ne saurait rien ajouter ni diminuer et dont la compagnie pourra être éclaircie par les comptes qui en ont été présentés à la chambre, et que M. le procureur général en icelle peut faire voir, n’étant possible d’en acquérir une certaine connaissance qu’en les examinant par le menu.

« Ainsi, vous verrez que le feu roi faisait toujours sa dépense plus faible que sa recette, de 3 à 4 millions de livres, pour avoir de quoi fournir à toutes ses dépenses inopinées ; et en outre faisant enfler sa recette du bon ménage qu’il pouvait faire durant l’année par moyens extraordinaires, et ce qui se trouvait rester de bon, les charges acquittées, était mis en réserve : c’est de là qu’est provenue la somme qui s’est trouvée dans la Bastille, après sa mort, qui montait à cinq millions et tant de livres, et environ deux millions qui demeuraient entre les mains du trésorier de l’épargne en exercice, pour faire ses avances, lesquels sept millions étaient le fruit des dix années paisibles, qui commencèrent depuis son retour de Savoie.

« Après son décès, la face des affaires fut changée ; en sorte que ceux qui eurent la direction des finances crurent, par de louables et saintes considérations qui vous seront ci-après représentées, que c’était assez de conserver cet argent amassé, sans continuer les précédents bons ménages pour y en ajouter, se contentant d’égaler la dépense à la recette ; ce qui fut cause qu’étant surchargés par les dépenses extraordinaires, ils se trouvèrent à court, en fin d’année, de trois à quatre millions de livres ; et pour réparer cette faute de fonds, et prévenir les mouvements qui se préparaient dans l’État pendant la minorité du roi, ils furent forcés d’entamer ce sacré dépôt qui les fit passer doucement jusqu’en 1613.

« Ainsi cet argent de réserve, utilement consommé, et les charges croissant de jour en jour, ils furent contraints de porter partie de la dépense d’une année sur la recette suivante ; tellement qu’en 1615, ils eussent été bien empochés, si le roi n’eût été secouru de deux moyens : l’un, de la révocation des contrats pour le rachat de son domaine et greffes en seize années, et revente d’iceux ; l’autre, de la création des triennaux, faite au commencement de l’an 1616 ; ce qui soutint les affaires en ce temps-là, auquel les non-valeurs furent excessives ; à l’occasion des troubles qui s’émurent lors en toutes les contrées de la France. Depuis, les dépenses augmentant, il n’y eut plus moyen de les supporter avec le revenu ordinaire de l’État.

« Et tout ainsi qu’on se sert de toutes inventions pour affermir un vieil bâtiment qui menace ruine, de même les directeurs, voyant que cet ancien royaume courbait sous le faix des charges, et n’avait aucune ressource pour les acquitter, furent contraints de chercher tous les ans des édits, règlements et créations nouvelles d’officiers, afin d’écouler le temps, et soulager le mieux qu’ils pourraient leurs nécessités ; et avec toute leur industrie, ils ne purent rejoindre le courant, si bien que, pour sortir d’une année, ils furent forcés d’engager le revenu de la prochaine, quelquefois d’un an et demi et de deux années.

« Dès lors, les comptables leur firent des avances, dont les remboursements étaient si éloignés, qu’à peine pouvait-on satisfaire à leurs intérêts, et même à la sûreté de leur prêt, qu’en les rendant comme maîtres absolus du maniement de leurs offices.

« Les fermiers et ceux qui avaient traité avec le roi firent de même, lesquels n’ont plus voulu mettre à prix aucun office ou portion du domaine, que suivant le revenu qui en pouvait provenir ; ce qui a fait que les ventes n’ont jamais excédé le denier dix, et s’en sont acquis la jouissance dès le commencement des années que les créations ont été faites, non obstant que la plupart n’eussent traité qu’après les premiers quartiers échus ; ils ont ajouté les deux sols pour livre, qu’ils disaient être affectés à supporter les frais, ensemble la remise du sixième pour les tirer hors de tous intérêts, et les garantir du hasard qu’ils pouvaient courir à faire valoir les choses par eux achetées ; lequel sixième, avec les deux sols pour livre et la jouissance, font une somme égale au tiers du total.

« Que si l’urgente nécessité des affaires a voulu que les partisans aient avancé le terme de leur obligation pour avoir tout en argent comptant, on leur a donné des intérêts jusqu’à 15, 18 et 20 pour cent ; lesquels ajoutés avec les autres remises, ont fait que les meilleures affaires ne sont pas revenues à la moitié des charges de l’État, étant réduites à ce point, qu’elles n’avaient autre recours pour les soutenir qu’à la bourse des partisans, lesquels, en cette nécessité, s’étaient tellement autorisés, qu’au bout du temps on n’a su les faire compter nettement ; et pour s’en garantir, se servaient des changements qui arrivaient dans le royaume.

« Il s’est aussi rencontré que tous les trésoriers de l’épargne, qui ont levé sur ces receveurs généraux des sommes d’argent avant le terme échu, n’étaient point ceux auxquels ils devaient répondre en l’année de leur exercice ; et l’épargne formant ses recettes ainsi confusément, s’est trouvée elle-même tellement embarrassée, qu’il n’y a plus eu lieu de voir clair dans ses comptes.

« Les naturalistes disent que la seiche a cette industrie de troubler l’eau pour tromper les yeux du pêcheur qui l’épie ; de même ces trésoriers ont perverti tout l’ordre et obscurci leur maniement,