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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

ront les premiers cette réformation ; au lieu que si vous touchez à la paulette, ou à la vénalité, les plus gens de bien se plaindront, parce que véritablement ils seront ruinés.

« Par ce moyen, il n’y aura plus de procès en France, dans dix ans. Les juges en font beaucoup plus que les parties. La juridiction des marchands est sans contredit la plus courte et la plus équitable, parce qu’elle n’a point d’émoluments.

« Surtout, Messieurs, prenez garde de ne mécontenter pas tous les officiers ; si à même temps vous ne vous résolvez à soulager grandement le peuple, et à leur gagner le cœur ; car Henri III en fut mauvais marchand : ayant ôté la vénalité des résignations en 1582, 3, 4, 5, 6 et 7, en 1588 toutes les villes se révoltèrent contre lui. Je sais bien qu’il y avait d’autres causes malignes concurrentes à cette sédition ; mais croyez-moi, celle-là ne poussa pas peu à la roue. Naturellement les peuples aiment le changement, et s’y portent s’ils ne sont retenus par la crainte des punitions. De façon que lorsque les magistrats ou les incitent, ou font semblant de ne les voir pas, tout se précipite à la confusion.

« Sans doute que la paulette est un grand mal ; mais elle a produit pour le moins ce bien durant nos derniers mouvements, que pas un officier ne s’est démenti de son devoir : la raison de cela est que le prix excessif de leur office les intéresse tous à la conservation de la paix et à la manutention du service du roi. Et qu’on en dise ce qu’on voudra, les hommes n’ont point de plus fortes chaînes que leur intérêt, ni de passion qui les emporte plus violentement.

« Toutefois, Messieurs, si vous voyez l’esprit du roi porté à réformer tout son royaume, et à soulager son peuple, donnez hardiment conseil de guérir toutes ces trois maladies ensemble : avec ces précautions, il n’y aura rien à craindre. Dieu se mêlera de la partie, et favorisera indubitablement une si sainte résolution, pourvu que l’ordonnance soit suivie pour les suppressions et nominations des officiers singuliers.

« Sur la demande des États généraux derniers, la paulette fut ôtée : qu’en arriva-t-il ? Les premiers offices qui vaquèrent furent donnés à des valets de chambre et à des cbevau-légers : il y en eut parmi eux qui furent assez insolents pour enfoncer les portes d’un officier malade, afin de voir s’il était encore expiré. Cet outrage excita de si grandes clameurs, que le roi fut contraint de continuer ce droit pour trois ans.

« Si vous aimez l’État, faites qu’on n’ôte pas la dispense des quarante jours, si on ôte en même temps la vénalité : autrement vous verrez tout à coup les parlements dénués de ces vieux arcs-boutants qui les soutiennent, lesquels se déferont de leurs charges trois mois après. En outre, la plupart de ceux qui voudront courre la fortune feront sans doute leur compte, et tâcheront, dans le temps de la jeunesse et de la force, à se récompenser du prix de leurs offices ; et le public en pâtira. »

Voici l’état des affaires de finances de France, que le marquis d’Effiat, surintendant d’icelles, présenta au commencement de l’an 1627 dans l’assemblée, et lequel y fut lu hautement par le secrétaire d’icelle, afin que chacun des notables fût instruit au vrai quel avait été l’état des affaires desdites finances, le maniement d’icelles et leur emploi depuis le décès du roi Henri le Grand :

« Messieurs, un ancien disait qu’on ne vivait si bien en aucun lieu qu’à Rome, fût pour l’institution des mœurs, ou pour l’exercice du courage ; qu’il estimait plus un Caton qu’il n’estimait trois cents Socrates ; je puis dire aussi qu’il n’y a point de contrée au monde plus fertile en grands rois que la France, et que je fais plus de cas d’un Henri le Grand, de louable mémoire, que de tous les rois des nations étrangères, parmi lesquels il ne s’en est point trouvé ni vu qui n’eût pu apprendre de ce grand monarque les règles nécessaires pour bien et glorieusement régner.

« Et si, pour gouverner un grand État, il était besoin à cette heure de choisir des lois qui eussent été pratiquées et produit d’heureux effets, l’on n’en pourrait trouver de meilleures que celles dont il s’est servi, et qui lui ont si utilement réussi ; car dès lors qu’il eut donné le repos à ses sujets, son État devint florissant, fut rempli de bénédictions ; et tout ce que la confusion des guerres civiles avait déplacé fut rétabli en son premier ordre.

« Il fit exactement observer les anciennes ordonnances sur le fait des finances ; et sa prudence parut tellement en la distribution de ses libéralités, qu’aujourd’hui elle est tirée en exemple, et sera admirée des siècles suivants, ne se remarquant qu’il en ait usé que par prévoyance d’un bien à espérer, ou pour une pressante nécessité.

« Néanmoins, comme il survient au corps humain, pour parfait qu’il puisse être, des pertes de sang (siége principal de la vie) par divers accidents qui ne se peuvent aisément réparer, de même cet État, avec son excellente disposition, ne laissa de sentir au courant des années plusieurs manquements dans ses finances ( où gît le premier manquement de sa force), soit en dépenses inopinées, ou pour des rabais qu’il convenait faire aux fermiers, à cause des stérilités ou mortalités advenues, et qui engendraient des non-valeurs dans les recettes générales, ou pour la réception des ambassadeurs, des négociations, pensions dedans et dehors du royaume, dépenses secrètes, assistance d’hommes et d’argent donnés aux alliés, et soldes extraordinaires ; de sorte qu’il ne se trouva aucune année durant ce grand calme, que l’état au vrai de la dépense n’ait