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corps flottants. Tartaglia ou Commandin ne doivent plus être consultés qu’à titre de renseignements. C’est ainsi que j’ai procédé pour le présent travail. — Pourtant, je me suis aussi servi, pour contrôler l’état du texte, d’une source tout à fait indépendante de celle-là : les énoncés (sans démonstration) des propositions du premier Livre, traduits directement sur un manuscrit grec par le mathématicien arabe Amed-ben-Mohammed-ben-Abd-Adjalil-Alsidjzî[1] en 969 de notre ère. M. Houdas, professeur d’arabe à l’École des langues orientales a bien voulu les mettre en français pour moi, et c’est un grand service qu’il m’a rendu.

Revenons à la vieille traduction latine. On croit en connaître l’auteur. Ce serait ce Guillaume de Moerbek dont on s’étonne de trouver le nom batave en Italie et en Grèce, d’ailleurs bien connu des érudits, grand voyageur, grand travailleur aussi, qui, au temps de l’éphémère empire latin de Constantinople, vers 1250, fut desservant d’une église à Thèbes, puis archevêque de Corinthe. Naturellement il apprit là le grec, et, revenu en Italie, à Viterbe, il se servit de ses connaissances acquises pour traduire les moins connus des monuments antiques.

Il semble que ce n’ait pas été un mathématicien, et que, se désintéressant pour lui-même du sens, il ait voulu donner à ceux qui chercheraient non la facilité de la lecture mais l’exactitude du fond, les mêmes mots que dans le texte, en même nombre tout au moins, avec les mêmes tournures. De là la physionomie bizarre, au premier coup d’œil, de son travail, moins traduit que calqué sur le grec. Les alliances de mots, les constructions ignorées du latin y sont reproduites avec une véritable candeur. Un seul exemple fera sentir l’exagération de ce système. L’article n’existant pas en latin, Guillaume a détourné de son usage propre le genre de mots qui y ressemble le plus, le pronom relatif, et, sans crainte d’écrire des phrases qu’un Romain n’eût pas entendues, a mis presque autant de relatifs latins qu’il rencontrait d’articles grecs.

Les défauts apparents de ce document en font, pour nous, le prix. Guillaume, qui appliqua le même système de traduction brutale à plusieurs Ouvrages d’Aristote, fit bien de violer plutôt le génie de la langue latine que de s’exposer à altérer le sens et la suite des idées archimédéennes. Cette conscience ou cette absence de scrupules nous a valu un latin incorrect mais transparent, sous lequel, d’ordinaire, nous apercevons aisément les vraies expressions grecques.

Aussi n’ai-je point, comme mes prédécesseurs, tâché d’amender le manuscrit latin, quand il était fautif. J’ai cherché plutôt de quelle ressemblance exagérée avec le grec la faute peut provenir.

M. Heiberg avait fait mieux : il a remis en grec ce latin déjà tout hellénique. Il fallait, pour cela, la profonde connaissance de la langue archimédéenne qu’il a acquise, en éditant avec tant de soin les autres traités qui nous sont parvenus en grec. Les curieux liront sa restitution dans les

  1. Voir Mémoires présentés à l’Académie des Sciences, t. XIV, p. 664.