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Chapitre premier

Arthur.

Anicet n’avait retenu de ses études secondaires que la règle des trois unités, la relativité du temps et de l’espace ; là se bornaient ses connaissances de l’art et de la vie. Il s'y tenait dur comme fer et y conformait sa conduite. Il en résulta quelques bizarreries qui n’alarmèrent guère sa famille jusqu’au jour qu’il se porta sur la voie publique à des extrémités peu décentes : on comprit alors qu’il était poète, révélation qui tout d’abord l’étonna mais qu’il accepta bonnement, par modestie, dans la persuasion de ne pouvoir lui-même en trancher aussi bien qu’autrui. Ses parents, sans doute, se rangèrent à l’avis universel puisqu’ils firent ce que tous les parents de poètes font : ils l’appelèrent fils ingrat et lui enjoignirent de voyager. Il n’eut garde de leur résister puisqu’il savait que ni les chemins de fer ni les paquebots ne modifieraient son noumène.

Un soir, dans une auberge d’un pays quelconque (Anicet ne se fait pas à la géographie, basée comme toutes les sciences sur des données sensibles et non sur les intangibles réalités), il remarqua tandis qu’il dinait que son voisin de table d’hôte ne touchait à aucun des mets et semblait cependant passer par toutes les jubilations gastronomiques du gourmet. Anicet saisit immédiatement que ce convive étrange était un esprit libre qui se refusait à recourir aux formes a priori de la sen-