Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

IV

EN MER.

Calme plat.

Il y a deux jours à peine, les flots tourbillonnant se ruaient en éclats sur le navire, le lançaient comme une flèche ailée vers l’horizon, l’élevaient aux cieux et le faisaient retomber de tout son poids dans l’abîme entr’ouvert. Cela était grand et beau, cela était terrible et solennel ; le désordre en faisait la magie ; mais je n’avais pas assez bien vu, assez admiré pour vous dire encore ce que c’est qu’une tempête, ce que c’est qu’un ouragan ; le jour n’est pas loin peut-être où je vous en apprendrai davantage.

Hier la mer était turbulente, fatiguée, écumeuse, mais on s’apercevait que ce n’était point une fureur naissante : au contraire, et l’on pouvait juger, sans l’avoir longtemps étudiée, que sa colère était une colère épuisée, que ses mugissements étaient le râle d’une brutalité amortie ; les vents et la foudre avaient passé par là ; l’écho de la tempête retentissait toujours, et pourtant ce n’était qu’un écho, c’est-à-dire un emportement sans menaces, une fièvre de mourant, ou plutôt des paroles de pardon.

Aujourd’hui le calme est venu, calme profond comme le désert, silencieux comme la tombe ; plus de gonflements aux flots, plus de brise à l’air, plus de nuages au ciel ; seulement là-bas, là-bas, à l’horizon, des