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II
ÎLES CAROLINES

J’ai remarqué qu’en fait de voyages surtout, le hasard venait toujours en aide à celui qui voulait voir et s’instruire, et ce hasard est presque toujours une bonne fortune. Si je n’avais couru après la lèpre, je n’aurais pas, à coup sûr, rencontré sous mes pas cette jeune Dolorida si suave, morte au milieu des bénédictions de tout un peuple. Ainsi de mes autres recherches. Est-ce connaître le monde que de le parcourir ?

Non, sans doute. Le caissier d’un millionnaire peut être pauvre ; celui-là seul qui possède est riche, et se promener en fermant les yeux ou en regardant toujours à ses pieds, c’est rester en place, c’est ne point bouger de son fauteuil.

Pour ma part, si j’ai tant de choses à raconter, c’est que je me suis dit en partant qu’il fallait envisager un retour comme une chose probable. Aussi ai-je visité bien des îles où le navire n’a point mouillé. Dès qu’on arrivait dans un port, je m’enquérais du temps nécessaire aux observations astronomiques ; je faisais mes provisions, je prenais un guide ou je m’en allais au hasard, comptant sur ma bonne étoile, et je m’enfonçais dans les terres, et je m’acheminais en compagnie de sauvages que je gagnais par mes présents, mes jongleries, et surtout par ma confiance et ma gaieté, visitant les archipels voisins au milieu des dangers sans nombre sous lesquels ont succombé tant d’explorateurs. Quand ma tâche était remplie, je retournais au mouillage, où je furetais encore de côté et d’autre afin de compléter mon œuvre incessante d’investigation.