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XXXIII
NAUFRAGE

Il y eut longtemps encore turbulence dans les airs et sur les flots, mais les derniers soupirs de la tempête nous laissèrent respirer, et nous pûmes enfin livrer nos voiles aux vents. Plus l’ouragan avait pesé avec rage sur le navire en péril, plus nous mettions d’ardeur à l’insulter, car désormais seul il pouvait nous atteindre, et la terre, son auxiliaire redoutable, n’était plus là devant nous pour lui venir en aide.

Avides d’un peu de repos, nous mîmes bientôt le cap sur la Patagonie, et nous regardions comme un bonheur cette relâche, qui devait, selon toute probabilité, nous offrir quelques curieux épisodes.

Tant de ridicules fables ont couru sur cette race d’hommes exceptionnels, auprès desquels nous ne serions que des mirmidons, on a raconté tant de merveilles sur la vie nomade de ces géants humains, que nous pressions de nos vœux les plus fervents le moment où nous devions laisser tomber l’ancre sur une des nombreuses rades de leur côte si rétive à toute civilisation.

La brise continuait à nous être favorable ; les courants nous aidaient dans notre route, et nous devions, selon toute apparence, voir la terre le lendemain même au lever du soleil. Hélas ! l’ordre de virer de bord fut donné, et avec lui s’envolèrent toutes nos espérances de bonheur. Nous