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I
MADAME FREYCINET

On lisait un jour dans tous les journaux de la capitale :

« La corvette l’Uranie, commandée par M. Freycinet, a quitté la rade de Toulon et a mis à la voile pour un grand voyage scientifique qu’elle va entreprendre autour du monde. L’état-major et l’équipage sont animés du meilleur esprit, et la France attend un heureux résultat de cette campagne, qui doit durer trois ou quatre ans au moins. »

Puis on ajoutait :

« Un incident assez singulier a signalé le premier jour de cette navigation. Au moment d’une forte bourrasque qui a accueilli la corvette au large du cap Sépet, on a vu sur le pont une toute petite personne, tremblotante, assise sur le banc de quart, cachant sa figure dans ses deux mains et attendant qu’on voulût bien la reconnaître et l’abriter, car la pluie tombait par torrents et le vent soufflait par rafales. Cette jeune et jolie personne, c’était madame Freycinet, qui, sous des habits de matelot, s’était furtivement glissée à bord, de sorte que, bon gré mal gré, le commandant de l’expédition se vit forcé d’accueillir et de loger l’intrépide voyageuse, dont la tendresse ne voulait point que son mari courût seul les dangers d’une pénible navigation. »

La veille on avait lu aussi :

« La corvette l’Uranie, qui allait partir pour un voyage de circumnavigation, a été incendiée dans l’arsenal de Toulon ; heureusement, personne n’a péri dans le désastre. »