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XX

EN MER.

Quel est le plus beau pays du monde ?

On m’a souvent posé plusieurs questions fort difficiles à résoudre, par cela surtout que chacun les résoudrait à sa manière, selon ses humeurs, ses caprices, ses passions. Il n’y a guère que les vérités mathématiques qui ne trouvent point de contradicteurs, et encore la logique lutte-t-elle parfois avec assez de bonheur pour en rendre quelques-unes obscures ou douteuses.

Quel est, selon vous, m’a-t-on demandé, le plus beau pays du monde ?

Puis, par extension : Quel lieu de la terre préféreriez-vous habiter ?

— Oh ! messieurs, vous n’avez pas réfléchi.

Allez inviter le Lapon à venir à Paris, vantez-lui la beauté de nos édifices, le luxe, les plaisirs de cette capitale du monde, et vous verrez ce que vous répondra le chasseur de castors.

Ne m’est-il pas arrivé de présenter un tableau délicieux de ma patrie à des hommes habitant un sol marâtre, et de voir sourire de pitié à la proposition d’une émigration chez nous, des infortunés poursuivis par toutes les privations et les misères ?

— Il y a des gens fort riches dans mon pays, disais-je un jour aux heureux habitants de Lahéna ?

— Dînent-ils deux fois ? me répondit-on.

— Non, mais ils dînent mieux.

— Cela n’est pas possible ; vous vous moquez de nous.