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XVIII

EN MER.

Tristesse. — Île Pilstard. — Île Rose.

De tous les fléaux qui pèsent sur la pauvre humanité, le plus mortel et le plus corrosif sans doute, c’est la tristesse, si horrible, si poignante à celui qui succombe.

Lorsque ce sentiment (car c’en est un) vous prend à l’âme, c’est le clou rougi qui pénètre et déchire les chairs, c’est l’ongle aigu qui creuse ; et si, pour essayer un remède, vous jetez une plainte au dehors, celle-ci meurt sans écho. Hélas ! ce ne sont pas les gémissements qui vous rendront à la vie calme et paisible ; au contraire, ils viendront en aide au mal. Ce qui tue dans les commotions, ce n’est ni le rauquement du tigre, ni le roulement du tonnerre, ni le mugissement de la vague écumeuse, ni la voix terrible de la cataracte ; ce qui tue, c’est la griffe qui ouvre la plaie, c’est l’éclair qui se tait dans l’espace, c’est la gueule de la lame qui absorbe et engloutit, c’est le remou qui étouffe le dernier soupir ; ce qui tue, c’est le silence, et la tristesse est toujours silencieuse. Hélas ! ce mal est un mal d’autant plus formidable qu’il porte en lui un découragement qui épuise la vigueur sans la soumettre à l’épreuve, qui énerve et glace à la fois, et ne vous laisse de forces viriles que pour souffrir.