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XI

ÎLES SANDWICH

Les veuves de Tamahamah. — Les femmes de Rives. — Dîner de ministres. — Young. — Assemblée générale. — Religion.

Il y avait quinze ans que M. Rives était établi aux Sandwich quand nous y arrivâmes ; aussi le sol, les eaux, le ciel et le climat de cette zone vivifiante donnaient à son être si chétif un air de virilité et de force contrastant de la façon la plus grotesque avec l’exiguïté de sa charpente anguleuse. Si sa taille eût été je ne dis pas même moyenne, mais un peu au-dessus de celle des nains qu’on montre dans les foires, nul doute que Tamahamah n’en eût fait un jour quelque chose d’importance et que la haute fortune du Gascon ne l’eût bientôt mis à même d’être utile aux navires explorateurs de toutes les parties du monde civilisé. Mais, hélas ! dans un pays où le mérite se mesure au mètre. Rives, revêtu du pouvoir, aurait bouleversé les idées des Sandwichiens, habitués à ne regarder leurs chefs qu’en levant la tête au ciel. Aussi, en dépit d’une cure merveilleuse dont je vous parlerai plus tard, resta-t-il constamment dans une obscurité parfaite et toujours cependant accueilli avec bienveillance par les reines et les dignitaires de la cour, qu’il divertissait beaucoup par ses manières de sauterelle et les ridicules contorsions dont sa mâchoire était tourmentée quand il essayait de prononcer convenablement certaines syllabes de l’idiome sandwichien.

Sa fierté gasconne eut longtemps à souffrir de l’injustice du sort, et cependant, vaniteux par naturel, il ne négligeait aucune occasion de