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IX

ÎLES SANDWICH.

Jack. — Koïaï. — Tamahamah. — M. Rives de Bordeaux.

Cependant la double pirogue que Kookini avait expédiée au roi pour lui donner avis de notre arrivée fut de retour à Kaïrooah au bout de quelques jours et nous força de quitter le mouillage de Kayakakooah. Elle portait, outre vingt-quatre vigoureux pagayeurs, à l’air martial et farouche, un Américain établi depuis longtemps à Wahoo et un pilote royal, nommé Jack, proche parent du souverain. Cet homme, plus grand que Kookini, était plus imposant encore par la gravité de ses manières que par sa colossale stature, et quoique ses traits, par exception, tinssent un peu du nègre, on remarquait tout d’abord, dans son maintien calme, dans ses gestes, dans sa démarche, une habitude de commandement et de domination qui lui allait à merveille. Au surplus, ses reins seuls étaient couverts d’une pièce d’étoffe, et en débarquant il se dégagea d’un beau manteau du pays, qui semblait gêner un peu la hardiesse de ses mouvements.

Kookini était un peu malade ; ce fut un second gouverneur qui reçut Jack sur le rivage. Dès qu’ils se virent, ils coururent l’un vers l’autre, se serrèrent affectueusement la main, gardèrent le plus absolu silence pendant une minute, et poussèrent ensuite à l’air des cris éclatants en répandant d’abondantes larmes. Autour d’eux un grand nombre d’hommes et de femmes répétèrent avec des cris étourdissants la singulière cérémonie, tandis que d’autres ne paraissaient pas même s’en apercevoir. Cela fait, chacun essuya ses yeux, se mit à causer fort paisiblement, et