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erronée que de prétendre confiner les hommes de génie dans la voie des pures abstractions, et de leur interdire les découvertes qui peuvent être utiles à leurs semblables. Veut-on d’ailleurs savoir à quoi l’on s’expose, lorsqu’on juge d’après des idées préconçues, ce qu’un savant aurait pu, aurait dû faire ?

Gay-Lussac, suivant vous, jouissait d’une excellente santé, et eût pu, septuagénaire, montrer l’ardeur, l’activité, la fécondité de sa jeunesse ; et un événement cruel vous a prouvé qu’il portait dans son sein le germe de la maladie qui l’a enlevé si inopinément à l’Europe savante.

Vous le croyiez entièrement absorbé dans la voie des affaires, et, au même moment, il construisait à grands frais, dans sa campagne de Lussac, un laboratoire, sur lequel feront bien de se modeler les chimistes qui pour eux-mêmes ou pour le public, auront à diriger l’exécution d’établissements du même genre.

On représente notre confrère comme exclusivement préoccupé des applications lucratives de la science, à l’époque où, se recueillant pour méditer sur des théories si nombreuses et si diverses, il écrivait les premiers chapitres d’un ouvrage qu’il n’a malheureusement pas achevé, intitulé : Philosophie chimique.

J’espère, après ce peu de mots, que les biographes dont les opinions ont rendu cette digression nécessaire, sentiront, dans l’occasion, le besoin de ne s’expliquer que sur les productions scientifiques qui ont été soumises au public, et de se taire sur celles dont selon leur appréciation le savant eut dû enrichir le monde. C’est presque prêcher l’ingratitude à la postérité !