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Les sociétés dans lesquelles le mérite éminent du jeune géomètre l’avait fait accueillir, celles de Lafayette, de Cabanis, fortifiaient les sentiments républicains dont il avait été nourri sous le toit paternel. C’est chez Cabanis que Poisson recueillit cette conversation, qu’il se plaisait à reproduire comme un exemple d’une mâle et rude franchise, sinon comme un modèle d’atticisme.

« Napoléon. — Pourquoi ne venez-vous plus me voir, Cabanis ? Vous savez tout le plaisir que je prenais à votre conversation.

Cabanis. — Je ne viens pas, Sire, parce que, sauf quelques exceptions, vous êtes maintenant mal entouré.

Napoléon. — Que voulez-vous dire ? Je ne vous comprends pas.

Cabanis. — Je voulais dire que le pouvoir est un aimant qui attire l’ordure. »

Un entretien qui débutait ainsi ne pouvait naturellement pas se prolonger.

L’antipathie de Poisson pour Napoléon se conserva pendant les prospérités de l’Empire. Les événements de 1812, de 1813 et de 1814 n’étaient pas faits pour l’affaiblir. « Voilà, disait-il, que de victoire en victoire on est venu, chose inouïe, à se battre aux portes de Paris. » Il ne méconnaissait pas ce qu’il y avait d’héroïque dans une poignée de soldats combattant contre les armées de l’Europe coalisée. Mais, à n’envisager que le résultat, cette suite de guerres devait avoir pour effet, et c’était le trait dominant qui le frappait, de nous faire perdre les pays que les armées républicaines avaient ajoutés à la France de Louis XIV.