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titre de baron, dont plusieurs princes d’Allemagne l’ont gratifié, est au fond plus dédaigneux, plus épigrammatique, que la phrase un peu brutale de Fontenelle : « Je ne suis pas assez modeste pour supposer que personne ne s’occupera de mes travaux ; je dois donc songer à épargner quelques fatigues à ceux qui me citeront verbalement ou par écrit : or, il leur sera plus commode d’écrire ou de dire Haller tout court que le baron de Haller ! »

Si l’entretien du savant géomètre avec Napoléon s’était prolongé jusque-là, ce dont quelques personnes douteront peut-être, notre confrère eût sans doute ajouté à ses objections sur le titre de comte, donné à un homme d’études, des remarques encore plus sérieuses, concernant la substitution du nom d’une des embouchures du Nil à celui de Monge. Il aurait pu faire observer que dans la carrière des sciences et des lettres, le public, résistant avec opiniâtreté aux fantaisies des princes, avait très-rarement sanctionné de pareils changements de nom ; que, par exemple, les érudits eux-mêmes savent à peine aujourd’hui que, suivant décision royale de Jacques Ier, Bacon s’appela quelque temps le vicomte de Saint-Alban. L’illustre géomètre aurait pu assurer qu’un jour viendrait où les bibliothécaires ignoreraient s’ils avaient sur leurs tablettes la Géométrie descriptive du comte de Péluze.

Je n’ai pas hésité à me rendre ainsi l’interprète des pensées de Monge sur la valeur réelle de la distinction honorifique dont il fut l’objet ; ces pensées étaient souvent le texte de ses épanchements intimes : alors, notre confrère parlait du titre dont il était revêtu avec une liberté d’esprit, avec une verve de critique, que j’ai cru devoir