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frégate la Muiron pendant son passage d’Alexandrie aux côtes de France étaient moins savantes, moins philosophiques que celles dont le pont du vaisseau l’Orient avait été le théâtre pendant que notre belle et puissante escadre, sortie de Toulon, voguait vers le rivage égyptien.

Les inquiétudes qu’on avait sur l’état intérieur de la France et sur ses relations avec les puissances étrangères en fournissaient presque exclusivement le sujet.

« Savez-vous, dit un jour le général Bonaparte, que je suis entre deux situations très-dissemblables. Supposons que j’aborde la France sain et sauf, alors je vaincrai les factions, je prendrai le commandement de l’armée, je battrai les étrangers, et je ne recevrai que des bénédictions de nos compatriotes. Supposez, au contraire, que je sois pris par les Anglais, je serai enfermé dans un ponton et je deviendrai pour la France un déserteur vulgaire, un général ayant quitté son armée sans autorisation. Aussi il faut en prendre son parti, je ne consentirai jamais à me rendre à un vaisseau anglais. Si nous sommes attaqués par des forces supérieures, nous nous battrons à outrance. Je n’amènerai jamais mon pavillon. Au moment où les matelots ennemis monteront à l’abordage, il faudra faire sauter la frégate. »

Toutes les personnes dont le général était entouré écoutaient ce discours avec une surprise manifeste, et ne prononçaient aucune parole approbative, lorsque Monge, rompant ce silence significatif, s’écria : « Général, vous avez bien apprécié votre position ; le cas échéant, il faudra, comme vous l’avez dit, nous faire sauter. — Je m’attendais, repartit Bonaparte, à ce témoignage d’ami-