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tèrent tout aussi impassibles, tout aussi immobiles, que les momies de leurs catacombes. Monge s’en montrait outré. « Ces brutes, s’écria-t-il en s’adressant aux musiciens, ne sont pas dignes de la peine que vous vous donnez ; jouez-leur Marlborough ; c’est tout ce qu’elles méritent. » Marlborough fut joué à grand orchestre, et aussitôt des milliers de figures s’animèrent, et un frémissement de plaisir parcourut la foule, et l’on crut un moment que jeunes et vieux allaient se précipiter dans les vides de la place et danser, tant ils se montraient gais et agités.

L’expérience, plusieurs fois renouvelée, donna le même résultat. Se passionner pour l’air de Marlborough et ne trouver, comparativement, qu’un vain bruit dans des morceaux de Grétry, de Haydn, de Mozart, c’était, disait-on universellement, montrer une inaptitude complète pour la musique. Cette conclusion, appliquée à tout un peuple, avait, psychologiquement et physiologiquement parlant, quelque chose de très-extraordinaire : aussi l’esprit pénétrant de Monge l’admettait avec peine, quoiqu’elle se présentât comme une déduction inévitable des faits. Aujourd’hui, les faits peuvent être envisagés sous un autre jour ; aujourd’hui, la prédilection des Égyptiens pour l’air de Marlborough est susceptible de recevoir une explication qui n’implique nullement l’absence du sens musical chez tout homme coiffé du turban ou du fez. Cette explication est très-simple. Monge l’eût certainement adoptée ; quelques mots suffiront pour montrer que je m’aventure peu en parlant avec cette assurance.

Il résulte d’une tradition que M. de Chateaubriand n’a pas dédaigné de recueillir et de commenter, de la disser-