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maximes qui, par le fond et par la forme, ne dépareraient pas les recueils des plus célèbres moralistes :

« Il est faux, très-faux qu’un crime puisse jamais être utile. — Le métier d’un honnête homme est le plus sûr, même en temps de révolution. — L’égoïsme éclairé suffit pour mettre tout individu intelligent sur la voie de la justice et de la vérité. — Dès que l’innocence peut être impunément sacrifiée, le crime n’est pas plus sur de son fait. — Il y a une distance si grande entre la mort de l’homme de bien et celle du méchant, que le vulgaire n’est pas capable de la mesurer. »

Les anthropophages dévorant leurs ennemis vaincus me semblent encore moins hideux, moins hors de nature que les misérables, rebut des populations des grandes villes, qui trop souvent, hélas ! ont porté la férocité jusqu’à troubler par des clameurs, par d’infâmes railleries, les derniers moments des malheureux que le glaive de la loi allait frapper. Plus la peinture de cette dégradation de l’espèce humaine est humiliante, plus on doit se garder d’en charger les couleurs. À peu d’exceptions près, les historiens de la sublime agonie de Bailly me paraissent avoir oublié ce devoir. La vérité, la stricte vérité n’était elle donc pas assez déchirante ? Fallait-il, sans preuves d’aucune sorte, imputer à la masse le cynisme infernal de quelques cannibales ? Devait-on, à la légère, faire planer sur une immense classe de citoyens de justes sentiments de dégoût et d’indignation ? Je ne le pense pas, Messieurs. Aussi je surmonterai ce qu’il y a de cruel, de poignant à arrêter longtemps sa pensée sur de pareilles scènes ; je prouverai qu’en rendant le drame un peu moins atroce,