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non-seulement ne tira pas, mais arracha un grand nombre de malheureux des mains de quelques gardes nationaux dont l’exaspération était allée jusqu’au délire. Enfin, on pouvait demander, quant aux inexactitudes que Bailly put commettre en racontant cette malheureuse affaire, s’il était juste de les imputer à celui qui, dans ses lettres à Voltaire sur l’origine des sciences, écrivait en septembre 1776 :

« J’ai le malheur d’avoir la vue courte. Je suis souvent humilié en pleine campagne. Tandis que j’ai peine à distinguer une maison à cent pas, mes amis me racontent les choses qu’ils aperçoivent à cinq ou six lieues. J’ouvre les yeux, je me fatigue sans rien voir, et je suis quelquefois tenté de croire qu’ils s’amusent à mes dépens. »

Vous entrevoyez, Messieurs, tout le parti qu’un avocat ferme et habile aurait pu tirer des faits authentiques que je viens de retracer. Mais Bailly connaissait le prétendu jury devant lequel il comparaissait. Ce jury n’était pas, quoi qu’en aient pu dire des écrivains passionnés, un ramassis de savetiers ivres ; c’était pis que cela, Messieurs, malgré les noms devenus très-justement célèbres qu’on y voyait figurer de temps en temps : c’était, tranchons le mot, une odieuse commission.

La liste, très-circonscrite, sur laquelle s’exerçait le sort, pour désigner en 1793 et en 1794 les jurés du tribunal révolutionnaire, n’embrassait pas, comme le mot sacré de jury semblait l’impliquer, toute une classe de citoyens. L’autorité la formait, après une enquête préalable et très-minutieuse, de ses seuls adhérents. Les malheureux accusés étaient ainsi jugés, non par des per-