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avec satisfaction de l’œuvre nouvelle ? Je ne sais. En tout cas, notre confrère aurait été bien mal payé de sa curiosité.

« Connaissez-vous, lui dit la grande dame dès qu’elle l’aperçut, un Éloge de Gresset nouvellement publié. L’auteur l’a fait remettre chez moi sans se nommer. Il viendra probablement me voir ; il est peut-être déjà venu. Que pourrai-je lui dire ? Je ne crois pas qu’on ait jamais écrit plus mal. Il prend l’obscurité pour de la profondeur : ce sont les ténèbres avant la création. »

Malgré tous les efforts de Bailly pour changer le sujet de la conversation, peut-être même à cause de ses efforts, la marquise se lève, va chercher la brochure, la met dans les mains de notre confrère, et le prie de lire à haute voix, ne fût-ce, disait-elle, que la première page, bien suffisante pour faire juger du reste.

Bailly lisait à merveille. Je laisse à deviner si, cette fois, il mit ce talent en action. Soins superflus ! Madame de Créqui l’interrompait à chaque phrase par les commentaires les plus déplaisants, par des exclamations telles que celles-ci : Style détestable ! galimatias double ! et autres aménités pareilles. Bailly ne réussissait point à amener madame de Créqui à quelque indulgence, lorsque heureusement l’arrivée d’un visiteur mit fin à cette insupportable torture.

À deux ans de là, Bailly étant devenu le premier personnage de la cité, des libraires recueillirent ses opuscules et les publièrent. Cette fois, la marquise, qui n’avait conservé aucun souvenir de la scène que je viens de raconter, accabla le maire de Paris de compliments et